[Vitrine du Cameroun] – Invité de « Tribune spéciale » sur PRC TV le 5 décembre 2025, le Ministre de l’Administration Territoriale (Minat), Paul Atanga Nji, était contraint d’aborder le dossier sensible de la mort en détention du de l’opposant Anicet Ekane. Face aux accusations persistantes de l’opinion publique qui le directement pour responsable, du moins politiquement comptable de ce drame, le MINAT a choisi une stratégie de défense audacieuse et délibérément clivante. Loin de tendre la main à l’apaisement, sa sortie n’était pas différente d’un réquisitoire posthume.
La première ligne de défense d’Atanga Nji s’est articulée autour d’un récit personnel : sa visite et son assistance financière à Anicet Ekane, gravement malade au CHU il y a un an. Une démonstration d’un « humanisme » qu’il attribue à la haute direction de l’État [00 :38:31]. Mais cette anecdote, destinée à humaniser le fonctionnaire, a rapidement basculé dans le calcul politique le plus froid.
Le Ministre a en effet révélé avoir assorti son aide d’un avertissement sans équivoque, signifiant le prix de sa clémence : « J’ai dit à Anicet, je vous dis une chose : votre âge ne vous permet plus de faire le désordre… vous avez fait beaucoup de désordres politiques dans votre vie. Maintenant j’espère que si Dieu vous donne la chance de vous mettre debout, vous allez éviter le désordre. » [00 :39 :59]
Cette interpellation brutale, livrée en pleine période de vulnérabilité du patient, révèle une conception troublante de la gouvernance : l’aide de l’État n’est pas un droit inconditionnel, mais une faveur qui exige la soumission et l’abandon de toute velléité d’opposition. En d’autres termes, le MINAT a implicitement posé l’équation : l’humanisme biyaïste s’arrête là où commence la dissidence.
L’interdit du martyrologe : une volonté d’écrasement mémoriel
L’apogée de l’entretien a été atteinte lorsque Paul Atanga Nji a récusé avec une virulence inouïe le statut de « martyr » que l’opinion confère au défunt, ravivant les plaies et les accusations de dédain du pouvoir. Cherchant à dépolitiser Ekane pour mieux criminaliser ses actes, le Ministre a recouru à un argumentaire aux relents blasphématoires.
« Je suis très très gêné quand on commence à parler de : il est mort en martyre, il est mort, c’est un héros. Non, c’est Jésus-Christ seul qui est mort pour sauver le monde… il est mort, vraiment paix à son âme, mais il faut éviter de dire que c’est un martyr ou c’est un héros national. Non, il n’est ni l’un ni l’autre. » [00:43:08], affirme le MINAT.
En opposant l’icône religieuse ultime à la figure de l’opposant décédé, le Ministre a cherché à anéantir toute dimension sacrificielle à la mort d’Ekane. Cette déclaration n’est pas un simple rejet, c’est une tentative d’anéantissement mémoriel, un geste politique d’une grande violence visant à dénuer l’opposant de toute légitimité historique et à justifier l’inflexibilité de sa détention. Elle témoigne d’une incapacité ou d’un refus délibéré d’intégrer la dimension émotionnelle et politique de ce décès dans le débat national.
La maladie, non un « passe-droit », mais un facteur de risque ignoré
Face à la question lancinante de la compatibilité de l’état de santé d’Ekane avec la rigueur carcérale, le MINAT a brandi le bouclier de la légalité pour balayer toute critique de la gestion des détenus politiques.
« Il faut éviter les amalgames. Vous savez, être malade ce n’est pas un passeport, passe-droit pour violer les lois de la République… » [00:42:52] confie Atanga Nji.
Si personne ne conteste que la maladie ne soit pas une absolution des crimes reprochés, la rhétorique du Ministre élude la question fondamentale des conditions de détention et du devoir de protection des citoyens par l’État. En insistant sur les graves accusations (incitation à l’insurrection, usage de stupéfiants pour mobiliser la jeunesse), il légitime a posteriori le risque pris par l’État de maintenir en détention préventive un homme dont la santé était notoirement chancelante.
Le message est clair : la République, sous la houlette de son « shérif », ne transige pas avec ceux qui menacent l’ordre établi. Paul Atanga Nji a réussi son pari en confirmant son rôle d’exécutant intraitable du maintien de l’ordre. Cependant, cette fermeté inflexible, dénuée de compassion ou d’explication satisfaisante sur les défaillances systémiques, ne fait qu’approfondir le fossé de défiance entre le pouvoir et les citoyens, laissant le fantôme d’Anicet Ekane hanter le débat politique camerounais.
Le MINAT, broyeur de l’opposition
Au-delà du dossier Ekane, l’intervention du Ministre de l’Administration Territoriale (MINAT), Paul Atanga Nji, sur PRC TV, a surtout servi de tribune à une mise en scène politique savamment orchestrée. Face à Jean Atangana, le Ministre a validé et explicité deux surnoms qu’il affectionne – le « Moulinex » et le « Shérif de la République » – offrant au pays un lexique officiel de l’autoritarisme. Ces métaphores ne sont pas de simples figures de style ; elles sont la traduction imagée de la doctrine du maintien de l’ordre telle que le régime souhaite qu’elle soit comprise : sans pitié, ni nuance.
Le « Moulinex » : l’écrasement jusqu’à l’oubli
Interrogé sur le sens de la métaphore culinaire du « Moulinex », Paul Atanga Nji s’est appliqué à en faire une machine à broyer l’opposition et la dissidence. Il a d’abord positionné le Moulinex comme la loi, le « maintien de l’ordre » [00:49:51]. Puis, il a désigné ses cibles, qu’il réduit à de simples « condiments » : « ceux qui défient l’autorité de l’État, les terroristes, les bandit, les bandits de grand chemin, ceux qui lancent les mots d’ordre irresponsable… pour moi c’est des condiments… lorsque vous mettez la tomate, l’ail, les oignons dans le moulinex, c’est la pâte qui sort, donc vous êtes écrasé, on ne vous reconnaît pas. » [00:50:00]
L’analogie est d’une violence politique inouïe. Elle ne parle pas de justice ou de prison, mais d’éradication et de déshumanisation. Être transformé en « pâte » signifie la disparition de l’identité, l’effacement de l’individu au profit de l’ordre. Le message aux opposants (assimilés sans distinction à des « bandits » ou « terroristes ») est limpide : quiconque défie la République sera écrasé au point de devenir méconnaissable. C’est l’image d’une administration qui ne cherche pas à contenir ou à juger, mais à pulvériser ses adversaires.
Le « shérif sans état d’âme » : l’obéissance aveugle
L’autre figure autoproclamée, le « Shérif de la République », vient compléter ce portrait en offrant l’image de l’exécutant parfait. Le Shérif, dans l’imaginaire populaire, est celui qui impose sa loi en contournant les lenteurs de la justice. Le Ministre Atanga Nji a validé cette interprétation, en y ajoutant une couche d’inflexibilité glaçante : « Le shérif c’est celui qui fait son travail sans état d’âme… le shérif ça veut dire que vous êtes mon frère, vous piétinez la République, je veux vous interpeller sans aucun remord… il est là pour exécuter les hautes directives du chef de l’État sans état d’âme… » [00:51:00] – se targue-t-il
L’expression « sans état d’âme » – répétée et assumée – est une abdication symbolique de la prudence, de la compassion et, plus grave encore, de l’examen de conscience qu’un Ministre d’État devrait avoir. Il se positionne non pas comme un garant de la légalité, mais comme un pur instrument du pouvoir, plaçant la loyauté envers le Chef de l’État (les « hautes directives ») au-dessus de toute considération humaine ou même du principe de proportionnalité dans l’usage de la force. C’est une défense de la ruthless execution : l’efficacité est la seule boussole, et la République est l’objet sacré que l’on doit défendre avec une froideur militaire.
La projection d’une puissance terrifiante
En s’appropriant ces deux métaphores, Paul Atanga Nji ne fait pas qu’expliquer ses fonctions ; il projette une image calculée de puissance et d’intimidation. Le « Moulinex » et le « Shérif » dessinent le visage d’un État qui ne dialogue pas avec la protestation, mais l’écrase sous une loi implacable, exécutée par un homme fier de le faire « sans remord ».
Cette rhétorique, loin de rassurer les investisseurs ou les partenaires internationaux sur la qualité de la démocratie camerounaise, vise clairement à terroriser l’opposition et à mobiliser la base du régime autour de la figure d’un protecteur zélé et infaillible. Le MINAT se pose ainsi en rempart absolu contre le « désordre », mais au prix d’une normalisation inquiétante de l’autoritarisme dans le discours public.












Leave a Reply