[Vitrine du Cameroun] – Le commandant Jean Louis Angounou est entré dans l’histoire au Cameroun en étant le premier à avoir pu accéder au grade de commandant de bord. Après une riche carrière commencée à Air Afrique il y a près de 40 ans, il deviendra l’une des figures emblématiques de la Cameroon Airlines (aujourd’hui Camair-co), devenant le leader de toute une génération.
Il prend sa retraite en 2002, deux ans après que le Boeing 747 Combi qu’il pilotait, a effectué une sortie de piste à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Cette interview a été réalisée il y a un an dans le cadre de l’émission Entretien avec… qui est diffusée tous les jeudis à 22 heures sur la chaîne STV2.
Au moment où je vous ai abordé, j’ai tout de même décelé chez vous un léger accent gabonais, d’où vient t-il ?
Il est vrai que l’on ne s’en rend pas compte soi même, j’ai .passé mon enfance au Gabon, c’est ce qui explique cela, mais je suis bel et bien Camerounais.
Parlez-nous un tout petit peu de vos parents, que faisait votre père ?
Mes parents sont tous les deux morts. Mon père travaillait dans les stations atmosphériques, il faisait partie de ceux qui envoyaient les messages pour donner des informations météorologiques pour pouvoir suivre les changements et envoyer aux avions, par exemple, des prévisions sur la météo.
Est ce que vous avait été influencé par le métier de votre père pour devenir pilote ?
Disons que mon père avait, une fois, eu la chance de voyager en avion et cela a été une expérience formidable, puisqu’il nous en a parlé souvent. Et c’est de là qu’est effectivement partie, dans mes fantasmes d’enfant, mon envie d’être pilote.
Quel type d’études avez-vous suivies avant d’opter pour cette formation de pilote de ligne ?
Des études tout à fait classiques : d’abord le lycée de Libreville jusqu’au baccalauréat en Sciences expérimentales. Puis, j’ai eu la chance de tomber sur un Français qui m’a permis d’obtenir une bourse de l’aéronautique de l’aviation civile à l’Enac, c’est-à-dire l’école nationale de l’aviation civile. Cette école était basée, à l’époque en France à Orly puis, l’on allait parfaire notre formation à Saint Ouen, en province.
Etait-ce ce que vous souhaitiez exercer comme métier : devenir pilote ?
Ah oui, absolument, et le destin m’a permis d’y arriver.
Vous arrivez en France pour ces études-là, y avait t-il beaucoup de Camerounais avec vous ?
Non, il y avait quelques Africains : (hésitations) Je pense un Ivoirien… Il y avait aussi quelques Magrébins et des Malgaches.
Comment se déroule la formation ? Avez-vous subi des actes de racisme, car ce n’était pas un métier ou l’on devait retrouver beaucoup de Noirs ?
J’ai l’impression que le racisme ne fait que grandir avec le temps. A cette époque, on admettait facilement des gens de tout sexe et de toute race. Je n’ai jamais eu ce problème-là, au contraire, j’ai eu mes meilleurs amis à ce moment-là et on a gardé ces liens depuis longtemps. J’ai par exemple eu la chance de côtoyer celle qui est devenue la première pilote de ligne française : Jacqueline Camus.
Etait-ce votre fiancée ?
Non. On a rapidement sympathisé, parce qu’elle était la seule femme et moi l’un des rares noirs…
En quelle année sortez-vous de l’Enac ?
C’est en 1967, quand j’obtiens un brevet de pilote professionnel, la qualification Ifr ; ce qui signifie que vous pouvez voler par tous les temps, vous n’avez pas besoin qu’il y ait du soleil ou qu’il fasse nuit. C’est une qualification qui vous permet aussi de travailler pour une compagnie aérienne de transport public.
Sous quelle nationalité êtes vous parti étudier : gabonaise ou camerounaise ?
Il faut préciser que je pars sous la houlette du gouvernement gabonais. C’est par la suite, lorsque le Cameroun va se retirer d’Air Afrique, qu’il va y avoir des réflexes et on va me dire d’aller rejoindre mon pays, puisque je suis Camerounais.
Parlant de votre parcours professionnel, pourquoi, lorsque vous terminez votre formation, vous n’allez pas rejoindre Air France mais Air Afrique ?
D’office, j’ai été pris à Air Afrique en tant que Gabonais. Lorsque j’y suis arrivé, j’ai débuté tout de suite sur Caravelle, qui était un biréacteur. C’était les derniers modèles de Caravelle. J’ai piloté ce type d’appareil jusqu’en 1971.
Quelles lignes effectuez- vous ?
On effectuait toutes les lignes de l’Afrique centrale, de l’Afrique de l’Ouest. On allait même jusqu’à Casablanca au Maroc. Mais on ne faisait pas l’Europe…
Etiez-vous déçu, en 1971, lorsque le président Ahidjo décide de quitter Air Afrique ?
On ne savait pas ce qu’on allait devenir en tant que Camerounais. Soit, on allait rester à Air Afrique, soit on allait nous reverser dans la nouvelle compagnie…
Mais que préfériez vous ?
Honnêtement, moi je voulais quand même tenter une nouvelle aventure. De par ma personnalité, j’aime vivre certains défis. Et pour moi, c’était un défi de partir dans une nouvelle compagnie. A Air Afrique, il y avait une filière qui était déjà tracée : on sortait de l’école et l’on vous prenait comme co-pilote. La nouvelle compagnie camerounaise, c’était un grand défi..
Quand vous quittez l’Afrique, êtes-vous déjà commandant de bord ?
Non, j’étais co-pilote sur Caravelle, je résidais déjà à Douala parce qu’il y avait une importante base de Air Afrique à Douala.
Lorsque vous arrivez à la Camair, vous ne volez pas sur le même type d’appareil ?
Il a fallu recommencer à zéro, parce que les premières acquisitions de la Camair étaient des avions à quatre hélices. Donc, il a fallu refaire une qualification là-dessus.
N’était-ce pas un peu gênant pour vous de piloter un avion moins performant ?
Dans l’aviation, il peut y avoir cette hiérarchie dans les avions, mais toujours est-il que l’on peut être sur un Boeing 747 et ne pas avoir des facilités à piloter un petit coucou, car il faut toujours passer une qualification.
Comment se déroule le travail au quotidien à la Camair au début ?
Il y avait quelques uns seulement qui avaient piloté des avions à réaction. La plupart était des expatriés qui n’avaient pas vraiment évolué en dehors de l’Afrique. Ce qui fait que j’ai pu entrevoir que si l’on formait des pilotes camerounais, ils pourraient facilement atteindre le niveau de ces pilotes français qui étaient nos patrons, nos commandants de bord.
Ces commandants de bord vous brimaient-ils ?
Disons qu’il y en avait qui avaient mauvais caractère et ce mauvais caractère s’exacerbait au contact des Africains. Ce qui n’était pas le cas quand j’étais stagiaire en France avec des élèves pilotes français. Ceux d’ici étaient frustrés de n’avoir pas suivi des études. Ils avaient été formés sur le terrain. On les avait mis dans des avions et avec l’habitude ils étaient devenus pilotes. Alors, lorsqu’ils ont vu arriver un jeune noir, ils ont été gênés.
Est-ce qu’il y a eu assez tôt une volonté du président Ahidjo de vouloir former le personnel navigant camerounais ?
Oui. Lorsqu’il y a eu ce retrait, tout est parti très vite. On a octroyé des bourses aux étudiants camerounais qui se présentaient et on a fait une action conséquente pour pouvoir avoir une relève de pilotes et de mécaniciens navigants.
Parlez-nous un peu de votre premier vol avec un équipage entièrement camerounais en 1974. Vous atterrissez aux commandes d’un Boeing 737…
En fait, on était encore en formation avec des instructeurs américains. En venant de Seattle aux USA, on est arrivé dans le contexte de faire des stages pour des vols d’adaptation en ligne. C’est à dire que vous avez l’avion et vous étudiez les lignes que vous allez faire au quotidien, mais avec des instructeurs. Et ce sont ces derniers, de Boeing, qui nous prodiguaient des conseils. Ce jour là, c’était assez délirant : nous arrivons à Yaoundé et dans ce vol, il y avait la plupart des hauts cadres d’Air France qui étaient à l’époque en assistance à la Camair. On atterrit à Yaoundé. Les passagers descendent. Je reste dans le cockpit avec l’instructeur pour préparer la suite du vol qui devait être Yaoundé-Ngaoundéré. Et à ma grande surprise, il y a le président directeur général de l’époque, Monsieur Samuel Eboua qui monte à bord et me demande de descendre. Je n’avais pas remarqué qu’il y avait une foule sur le tarmac. On me conduit dans un espace où il y avait une foule composée de hauts responsables, dont le Président Ahidjo…
Avez-vous eu peur ?
Non, juste que je ne comprenais pas ce qui se passait.
Que vous a-t-il dit ?
Je crois qu’il m’a salué. Il a plongé son regard dans le mien. Il a du me dire une phrase du genre : « Toutes mes félicitations, je suis fier de vous ». Et j’ai alors entendu des applaudissements et des flashes de photos. Je suis reparti dans l’avion. Je pense que c’est à partir de ce moment que la Camair a pris une certaine importance aux yeux des Camerounais. Et cela, parce que le président a su valoriser ce moment là en déplaçant tout son cabinet. A la suite, il y a eu des instructions assez intéressantes qui ont fait qu’aux yeux des Camerounais, et surtout aux yeux du président, la Camair avait une certaine importance. Ce qui fait que l’on ne permettait pas que n’importe qui retarde un vol.
Vous voulez dire qu’il n y a pas eu des ministres qui vous ont demandé de ne pas décoller parce qu’ils ne sont pas prêts ?
Bien sur. Il y a eu des tentatives. Notamment des ministres, mais cela n’a pas duré longtemps. Surtout comme les chefs d’escale bénéficiaient d’un accès direct à la Présidence…En fait, le cabinet du ministre demandait d’abord à l’escale de faire attendre l’avion. Le chef d’escale venait nous voir afin qu’on contacte la présidence et, tout de suite, on nous donnait l’ordre de partir.
A quel moment commencez-vous à effectuer des vols intercontinentaux ?
Il se passe que la Camair a acquis des Boeing 737, des bimoteurs. Et par la suite, elle a eu à acquérir le fameux Boeing 707 et j’étais le seul à effectuer ce stage là aux USA, puis je suis revenu. Il faut reconnaître que notre chef pilote de l’époque, M. Schmith, avait une notion bien élevée de la profession, parce qu’il a permis que je puisse avancer dans ce métier là sans trop de problèmes. Il m’a couvert alors que j’étais commandant de bord du 707. Il m’a permis de faire un stage très complexe au niveau d’Air France. Je suis pratiquement passé dans tous les services de cette structure. Il s’est passé quelque chose de particulier à ce sujet : j’étais le seul à avoir obtenu la qualification 707. Il n’y avait pas de co-pilotes camerounais pour pouvoir m’aider dans cette tache. Il a donc demandé que des collègues d’Air France puissent venir voler avec moi comme co-pilotes. Et comme j’étais le seul, je suis parti de commandant de bord 737 à commandant de bord 707, directement. Mais eux, en France, ils étaient co-pilotes 707 mais avaient une plus grande expérience que moi le commandant de bord. On ne pouvait pas les faire passer commandant de bord parce qu’il y avait des listes de séniorité.
A partir de quelle époque peut-on dire, au niveau du personnel technique navigant, qu’il y a eu plus de Camerounais ?
Il y a eu des Camerounais qui pouvaient voler avec nous à partir du moment ou on a formé des co-pilotes sur 707. Donc là, on a eu des équipages totalement camerounais. Il faut aussi souligner qu’on avait des problèmes de co-pilotes, mais pas de mécaniciens navigants. On avait trois mécaniciens navigants camerounais qui avaient déjà obtenu leurs qualifications.
A ce moment, comment se porte la Camair ?
Elle se porte bien. Nous sommes une compagnie qui monte. Il y a une grande volonté et un genre d’enthousiasme qui soulève presque les montagnes. Bref, la Camair avance.
A l’époque gagnez-vous bien votre vie ?
Pour être franc, cela n’avait pas vraiment d’importance dans la mesure où on vivait bien. On était bien, mais comparativement à un pilote d’Air France, nos salaires n’étaient pas assez consistants.
Combien gagniez-vous environ ?
En tant que commandant de bord, le salaire brut ne dépasse pas 1.500 000f, ce qui est dérisoire par rapport à la profession. On a fait courir certains bruits pour dire que les pilotes gagnaient beaucoup d’argen, ce qui était totalement faux, surtout à la Camair, et on s’est même rendu compte qu’à Air Gabon les pilotes gagnaient quatre à cinq fois plus. Peut être par ce que le coût de vie au Gabon est également très élevé. Non, ce n’est pas tout à fait cela. Il n’est pas normal qu’on voie un pilote d’Air France à la retraite qui gagne dix fois plus qu’un pilote en activité, et dans la même catégorie au Cameroun. Mais on n’a pas voulu insister sur ces problèmes de salaire parce que, d’une part, il fallait avoir un syndicat constitué pour discuter de ces problèmes et on s’est également dit que les choses allaient s’améliorer.
N’avez-vous pas songé à partir, par exemple, de la Camair quand Air Gabon se crée en 1977 ? Est ce qu’on vous a approché ?
Non, pas du tout, ils ont peut être considéré que j’étais camerounais et je devais rester chez moi. En 1981, le gouvernement décide d’acquérir un Boeing 747. Vous avez été une fois de plus choisi pour suivre la formation de commandant de bord : avec combien de Camerounais allez-vous en formation ? Déjà à l’époque, il y avait pas mal de camerounais, des copilotes, des mécaniciens navigants, mais j’étais toujours le seul commandant de bord avec des expatriés qui étaient sur des Boeing 737. C’est par la suite, avec une certaine expérience, qu’on a pu former des commandants de bord 747.
Combien de Camerounais ont passé en même temps que vous le test de qualification 747 pour être commandant de bord ?
Il devait y avoir quatre ou cinq expatriés, mais pas un seul camerounais. Ils étaient tous copilotes et mécaniciens navigants.
Pensez-vous que le personnel navigant et les pilotes camerounais de la Camair étaient performants ?
Il n’y a aucun doute là-dessus. Ils étaient à l’époque au top niveau. Ayant subi la qualification Boeing d’Air France ils étaient au top niveau et on l’a vu après. Car, quand Air Madagascar a eu besoin de pilotes pour couvrir la fuite des siens, ses dirigeants ont fait appel aux Camerounais et le niveau des équipages camerounais était indéniable.
En Août 1984, la Camair subit son premier accident d’avion ici à Douala : un Boeing 737 prend feu au décollage. Puis en 1995, vous avez un autre accident au large de Douala. Toujours un Boeing 737 qui s’écrase, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes. N’est ce pas un peu trop ?
Oui, justement, il faut pouvoir analyser ces accidents là. Celui qui a eu lieu à Douala en 1984, c’était à cause d’un écoulement de fuel. Il y a eu un incendie. Donc, ce n’est pas à cause du pilotage. Cela peut être lié également à la maintenance. Mais on n’a jamais su ce qui s’est passé, parce qu’au Cameroun, il y a des enquêtes qu’on commence mais qu’on ne termine jamais. Peut-être qu’on se dit que, comme personne ne soulève, le problème autant le laisser couler…
En 1995, vous êtes responsable des pilotes, il y a un accident d’avion à Youpwè, un avion qui revient de Cotonou au Benin. Un Boeing 737 avec de nombreuses victimes. Des informations crédibles font état de ce que le commandant de bord Younousa était fatigué. Est-ce vrai ?
Je pense que l’on est déjà à la phase où il y a un certain dysfonctionnement qui commence à apparaître.
C’est-à-dire quoi ?
C’est-à-dire que la direction de la Camair n’est plus très regardante sur la sécurité. Par exemple, un pilote qui doit voler à 11h ne doit pas être maintenu en alerte jusqu’à 21h. Ce que je veux expliquer est que l’équipage a été à l’aéroport, ce qui pose problème : étant entendu qu’ils sont arrivés à 11h, ils ne pouvaient pas effectuer un vol à 21h. Il faut nécessairement remplacer l’équipage qui était là le matin. Donc, ils sont partis assez tard, après que l’équipage soit resté trop longtemps en attente .On aurait dû déclencher un autre équipage.
On aurait dû !!! C’était votre rôle non, en tant que chef des pilotes ?
(Hésitations). Je n’étais plus responsable, car il y a plusieurs secteurs. Donc à ce moment là, il y avait un relâchement sur la sécurité. Ce qui n’exclut pas que l’avion ait pu avoir des problèmes techniques. Il y a une loi qui dit que quand un navigant ne se sent pas en mesure de faire un vol, il ne le fait pas. Il n’a pas besoin de produire un certificat médical. A la Camair, on était entré dans la spirale ou on exigeait des certificats médicaux quand les pilotes sentaient qu’ils ne pouvaient pas faire un vol .On avait trouvé un moyen de pouvoir les sanctionner d’une façon ou d’une autre. Alors, dans ce genre de situation, tout peut arriver. Il peut donc y avoir eu une panne, mais quand on est fatigué, on n’a plus les mêmes réflexes pour circonscrire la panne que lorsqu’on s’est reposé.
Commandant Angounou, que s’est-il passé le 05 Novembre 2000 à Paris-Roissy ?
Après l’enquête sur cet accident du Boeing 747, on a tiré certaines conclusions. Mais ce qu’il faut voir dans ce drame, ce jour-là, est que l’avion s’est posé normalement à Paris.
Mais quand vous partez de Douala, n’y avait il pas de problèmes techniques ?
Il y avait déjà des problèmes au départ. Cet avion est resté au centre de maintenance d’Air France en réparation. Il devait arriver samedi, en faisant Charles De Gaulle-Nsimalen-Douala. Il n’est parti de Charles De Gaulle que dimanche. Comme il est arrivé, on ne pouvait plus effectuer la rotation. On était obligé de prendre les passagers de Yaoundé à Nsimalen qui partaient pour Paris. On les a mis dans le vol qui partait à Douala, le dimanche. Et donc, l’avion est parti directement. Avant le départ, il y avait des écoulements de carburant ce qui est grave. Et en plus, cet écoulement était assez important, il fallait en connaître la provenance.
Mais pourquoi avoir décollé, s’il y avait un problème technique ?
Cet écoulement nécessitait que l’on suive un protocole. C’est-à-dire aviser le centre de maintenance d’Air France afin qu’il fasse une procédure de reconnaissance de panne. Cette procédure demandait qu’on mette les réacteurs en marche pour voir si ce problème ne s’aggravait pas. Quand on mettait les moteurs en marche, l’écoulement s’arrêtait. Alors, on s’est rendu compte que l’écoulement était infime, à la minute donc, on avait le Ok pour partir. On est donc arrivé à Paris. Il faisait mauvais temps. Il pleuvait. Il y avait du vent. On atterrit et tout se passe en une fraction de seconde…
Que se passe t-il ?
On se rend compte que l’avion dérive vers la droite. On a donc essayé de faire des corrections. Et puis, subitement, il y a un vrombissement qui fait que l’avion a viré subitement sur un côté. Il y a donc un moteur qui s’est relancé, c’était le moteur externe. Dans les annales où on répertorie ce type de problèmes, cette panne n’existe pas. Quand on sort de la piste, l’avion continue son chemin et, du fait de son poids, il s’enfonce. Il y a une vitesse, mais elle est décroissante. L’avion s’est enfoncé et le train avant est entré en collision avec une petite réserve d’eau. Sous le choc, il s’est retrouvé vers le haut et la cabine de première classe s’est surélevée à peu près de 10 centimètres. Quand il y a eu ce choc, l’avion, s’est immobilisé et comme nous étions en pleine nuit, c’était l’obscurité totale, même la radio et les communications se sont coupées.
Dans un extrait de texte qu’on a rencontré sur un site Internet on peut lire qu’il y avait des personnes (des dames) ne faisant pas partie de l’équipage dans le cockpit est ce exact ?
Oui. Bien sûr, ça peut arriver…
Cette personne vous a t-elle distrait ?
Tout ce que je peux vous dire est que quand on est en phase critique d’atterrissage, aucune personne ne peut vous distraire de quelque façon que ce soit. Quand on atterrit il y a plusieurs sécurités : la première est de réduire les gaz. Ensuite, on met en place un système d’inversion : le mécanicien tient les quatre manettes d’inversion gaz et il ne peut pas permettre que l’on tire dessus. Alors, quand vous lisez sur un site Internet « réduction incomplète », c’est erroné. Quand on réduit, ça ne peut pas être incomplet. Ce qu’ils ne disent pas est que, quand on voit les paramètres pour savoir comment ce moteur pouvait aller en poussée de décollage, on se demande qu’est ce qui a actionné cette poussée de décollage ?
Pensez vous qu’il s’agissait d’un sabotage de la maintenance ?
Je ne sais pas. Les conditions qui permettent qu’un moteur ne puisse pas aller en poussée positive sont ces blocages… Récemment, au Canada, un avion d’Air France qui est sorti en bout de piste a eu un accident ou un moteur est parti en poussée positive et l’avion est sorti.
Avec recul, comment expliquez vous cet accident ?
Il a pu y avoir un système de contrôle qui a tout déclenché par la suite. Quand on a mené l’enquête pour savoir s’il n’y avait pas un élément défaillant, on devait faire venir une équipe de la Camair, constituée par des techniciens camerounais, pour pouvoir voir le fonctionnement de cet équipement, pour savoir ce qui est arrivé. Comment se fait il qu’on n’ait pas amené un seul Camerounais ? Et le directeur technique de l’époque qui était un français a tenu à ce qu’il n y ait aucun Camerounais pour aller suivre .Voilà autant de questions qui se posent.
Selon vous, cet avion était il réparable ?
Oui, la seule partie qui a été endommagée est celle sous le train avant. Les moteurs étaient intacts, il fallait tout simplement reprendre l’avion et réparer à partir du train jusqu’en haut. On appelle cela des modules…
Pensez vous qu’il aurait été rentable de réparer un avion acheté en 1981, c’est-à-dire ayant 19 ans d’âge à l’époque de l’accident ?
Un avion est toujours neuf dans la mesure où tout son suivi est fait de manière normale. On appelle cela des « checks ». Et celui du Boeing 747 était maintenu. Si cet avion avait voulu être réparé, comme l’a confirmé Boeing, il l’aurait été en 45 jours. Les frais de réparation étaient largement inférieurs à ce que l’assurance a versé à la compagnie.
Qui s’opposait à la réparation de l’avion ?
Au niveau de la Camair, ils ont commencé par dire que ça coûterait cher ils estimaient le coût de réparation à plus de 10 milliards.
Pensez-vous que M Yves Michel Fotso, qui était directeur de la Camair à l’époque n’a pas voulu réparer l’avion ?
Ce qui m’a été rapporté est que le directeur a dit que même si cet avion était réparé, il ne monterait plus dedans. Ce qui a été dit et fait concourrait à faire croire que les gens ne voulaient plus de cet avion.
Le fait d’avoir fait atterrir l’avion a été qualifié d’acte héroïque. Avez-vous été décoré pour cela ?
Non ! Ce sont les autres qui trouvent cela héroïque. Par contre, il y a eu des passagers qui voulaient que les Camerounais se rappellent cet acte là. Ils voulaient commémorer cet accident en faisant une grande fête. Ils ont demandé l’adresse de tous les passagers qui étaient à bord (187 personnes) à la Camair. Celle-ci n’a jamais répondu.
La Cameroon Airlines a fermé ses portes en Mai dernier. Selon vous qui est responsable de la faillite de cette compagnie ?
Tous les secteurs, en fait, sont concernés. Il faut dire que la nomination des responsables de la Camair n’a pas été faite suivant le principe qui permettrait de faire marcher cette entreprise. J’ai constaté que la plupart des hauts cadres qui venaient d’être nommés arrivaient avec l’intention de faire partir cet avion : le Boeing 747.
Peut être n’était il pas rentable ?
Comment pouvaient-ils dire que cet avion n’était pas rentable ? La vérité est que l’on n’a jamais essayé de rentabiliser cet avion. On a laissé passer beaucoup de contrats. Je me rappelle, la compagnie TWA voulait prendre notre avion à l’époque, afin qu’il fasse la ligne Rome-New York. Mais la proposition a été refusée. Par ailleurs, il y a certaines lignes qu’on a commencé à supprimer comme Douala-Rome-Paris. Ce qui handicapait les commerçants qui partaient à Rome.
Est-ce que les lignes telles Douala-Bruxelles ou Douala-Frankfort, par exemple, étaient rentables ?
Une ligne comme Douala-Frankfort avait une rentabilité qui n’était pas effective, mais ça permettait d’avoir des ouvertures, car il y a des lignes qui ne sont pas rentables tout de suite. Je me rappelle que l’ancien directeur technique, un Français, avait déclaré une fois qu’il ne partirait pas de la CAMAIR avant d’avoir fermé la ligne Douala-Frankfort-Paris, parce que c’était une ligne rentable à long terme. Et c’est à partir de ce moment que les problèmes de la Camair ont commencé, car ce monsieur venait d’Air France.
Selon vous, c’est donc Air France qui a voulu couler la Camair ?
Disons qu’Air France n’a pas joué un rôle positif pour l’émancipation de la Camair.
La faute aux Camerounais. C’est un risque d’aller réviser vos avions chez vos concurrents… Oui, un risque réel. Quelque chose s’est passé, qui était une plus grande erreur. On a essayé de retirer la maintenance du 747 à Air France et on l’a remis à l’Afrique du Sud. Ce n’était pas directement à l’Afrique du Sud, mais à travers un intermédiaire. Or ce genre de choses se traite directement.
Pourquoi n’avoir pas dénoncé tout cela à ce moment. Vous étiez quand même le premier Commandant de bord ?
Savez-vous qu’en tant que commandant de bord, on me rappelait souvent que je ne suis juste qu’un Chauffeur d’avion.
Quel a été le rôle de l’Etat dans tout cela ?
On a dit qu’il usait et abusait des services de la compagnie, sans payer ses factures. Je pense que même si l’Etat ne réglait pas ses factures, ne serait-ce que par les subventions qu’il a pu donner, cela couvrait ses factures. Donc la faillite de la compagnie n’a rien à voir avec l’Etat.
On dit que certains employés de la Camair ont eu à dénoncer certains collègues qui contractaient des mariages blancs pour faire voyager des personnes et d’ autres qui se servaient de la compagnie à des fins commerciales, confirmez vous cela ?
Il y a eu, à une certaine époque, un problème de trafic de billets qui a enfoncé la société et l’a poussée à sombrer. Ce trafic a été démonté un peu tard.
Avez-vous aidé des gens à voyager vous-même ?
J’ai eu à aider des gens en leur octroyant des places en ma qualité de commandant de bord. C’est-à-dire qu’il pouvait y avoir des gens qui avaient des urgences. Je leur octroyais des sièges de service non commercialisables, par exemple dans le cockpit.
Est-ce normal, commandant, que des passagers voyagent dans le cockpit ?
Le passager peut voyager dans le cockpit, mais cela relève de la responsabilité du Commandant de bord. Ce sont des risques. Mais des risques calculés. Ce qui fait que dans certains cas, la Camair a pris des galons en tant que compagnie humanitaire.
Est-ce que la flotte était adaptée à votre réseau ?
Oui, la flotte était bien adaptée. Mais vous devez comprendre que si la gestion ne suit pas, n’importe quel avion ne sera jamais rentable, car il y a des saisons pleines et des saisons creuses. Tout cela est calculé à l’avance et c’est à la compagnie de chercher le moyen de combler tout cela.
Camair est en liquidation, on parle de 22 milliards de francs pour les droits des employés. Vous êtes parti à la retraite en 2002. Avez-vous été indemnisé ?
Non, pas du tout. A mon départ, on m’a présenté ce que la Camair me devait ; il se trouve que ce solde de tout compte est inférieur à celui d’une hôtesse qui partait aussi en retraite. Ce sont en fait les mystères de la Camair. Je l’ai pris mais ce que l’on m’a donné s’est étalé en trois ou quatre mensualités. Ce qui fait que c’était de la monnaie de singe.
Votre départ à la retraite intervient en Mai 2002 et l’accident s’est déroulé en Novembre 2000. Ces deux évènement étaient ils liés ?
Non, ma retraite a été normale, à 60 ans. Mais après les investigations qui ont suivi l’accident j’aurais dû reprendre les vols. On m’a suspendu, puis on m’a demandé de reprendre les vols. Etant resté plusieurs mois sans voler, il me fallait refaire une qualification. Mais le programme donné pour cette qualification n’était pas normal, car on a voulu que ce soit mes collègues de la Camair qui puissent me refaire une qualification bâclée. Donc on a demandé à mes subordonnés de m’évaluer sous prétexte qu’ils étaient instructeurs à ce moment-là et moi j’ai refusé.
Pensez vous que cet accident a eu un impact sur votre fin de carrière ?
Non, pas du tout. J’ai fait des réclamations au très haut niveau cela a abouti, et je pense qu’un an après le président de la république, à travers du cabinet, a demandé à ce que l’on me restitue tout ce que la Camair me devait. Cela ne s’est pas fait, car il y a eu des manœuvres dilatoires.
Pensez vous que vous serez un jour payé ?
Oui, je pense que la Camair est différente et la garantie c’est Camair.Co. Si elle n’existait pas, je ne serais pas aussi certain, parce que pour que la CAMAIR.CO démarre, il faut qu’on ait satisfait les ex-employés de la CAMAIR. Car pour que celle-ci soit fonctionnelle elle a besoin des éléments de CAMAIR, on a déjà le personnel, qui n’a besoin que d’être réadapté, et des infrastructures.
Selon vous Camair.Co est-il un projet viable ?
C’est une question de volonté, il n’y avait pas de volonté réelle de faire marcher la Camair. Quand on parle de onzième province pour qualifier la Camair, ça n’a pas toujours été la onzième, par ce qu’on est parti de zéro jusqu’à atteindre ce qualificatif .Ce qui veut dire qu’on a atteint un certain niveau où on mettait en exergue la compétence, le professionnalisme. Si l’on réitère cet esprit à Camair.Co, elle va bien fonctionner. Donc, c’est une question de gestion d’hommes et de volonté.
Source : Le jour / Interview menée par Thierry Ngogang
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