
[Vitrine du Cameroun] – Il s’agit là d’une transaction déséquilibrée, opérée le 7 octobre 1959 par Ahmadou Ahidjo, alors Premier ministre. Ce bail emphytéotique, par sa durée quasi séculaire, est en effet un gèle d’une partie importante du patrimoine foncier camerounais au profit de l’État français.
Le Décret n° 59-177 du 7 octobre 1959, signé par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement camerounais, Ahmadou Ahidjo, autorisant l’État du Cameroun à louer par bail emphytéotique à l’État français deux terrains domaniaux destinés à l’installation des services de la représentation française au Cameroun, demeure, des décennies plus tard, un sujet de critique et d’analyse.
Au-delà de sa portée juridique apparente, ce texte est perçu par beaucoup comme une matérialisation des liens de subordination post-coloniaux entre le Cameroun et la France, remettant en question la pleine souveraineté de la jeune nation à l’aube de son indépendance. La formulation même du décret, accordant un bail de 99 ans pour un loyer symbolique d’un franc par an, sur des terrains bâtis de superficies conséquentes, soulève des interrogations légitimes sur l’équilibre des intérêts en présence et la vision à long terme des dirigeants camerounais de l’époque.
Ce décret intervient dans un contexte politique particulièrement délicat. Le Cameroun, alors sous tutelle française, se préparait à accéder à l’indépendance en janvier 1960. La signature d’un tel accord, à la veille de cette émancipation formelle, interroge sur la nature des pressions exercées par l’ancienne puissance coloniale et la marge de manœuvre réelle du gouvernement camerounais.
Il est difficile d’imaginer une négociation d’égal à égal lorsque l’une des parties est encore sous l’autorité de l’autre. Le bail emphytéotique, par sa durée quasi séculaire, a eu pour effet de geler une partie significative du patrimoine foncier camerounais au profit de l’État français, limitant ainsi la capacité du Cameroun à disposer librement de son propre territoire pour son développement futur.
Les implications économiques et symboliques de ce décret sont profondes. Le loyer symbolique d’un franc par an suggère une transaction déséquilibrée, où la valeur réelle des biens fonciers et immobiliers n’est pas reflétée. Cette pratique, courante dans les accords post-coloniaux, est souvent interprétée comme une forme de continuation de la domination économique et politique sous des dehors de coopération.
Symboliquement, le maintien de vastes enclaves territoriales sous contrôle français, même pour des besoins diplomatiques, a pu être perçu comme un rappel constant de la tutelle passée et un frein à l’affirmation d’une indépendance pleine et entière. Ce type de disposition soulève la question de savoir si la souveraineté territoriale, pierre angulaire de toute nation indépendante, était alors pleinement acquise ou si elle était, dès le départ, hypothéquée par des accords d’une autre nature.
L’analyse rétrospective du Décret 59-177 ne se limite pas à une simple critique historique ; elle permet également de comprendre les racines de certains défis contemporains auxquels le Cameroun, et plus largement de nombreux pays africains, sont confrontés. La question de la restitution des biens, des ressources et du patrimoine, ainsi que la renégociation des accords jugés inéquitables, figurent aujourd’hui au cœur des débats sur la souveraineté et le développement.
Le cas de ce décret illustre la complexité des relations post-indépendance, où les héritages coloniaux continuent d’influencer les dynamiques politiques et économiques actuelles. Il met en lumière la nécessité pour les nations africaines de réévaluer ces accords anciens afin de s’assurer qu’ils servent au mieux les intérêts de leurs populations.
La résiliation ou la renégociation de tels baux emphytéotiques est un processus complexe, jalonné d’obstacles juridiques, diplomatiques et politiques. Cependant, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une révision de ces accords, arguant que les circonstances qui ont présidé à leur signature ont considérablement évolué et que le contexte actuel exige une relation d’égal à égal entre États souverains. L’occupation de terrains stratégiques pour une durée aussi longue et à un coût aussi dérisoire est difficilement justifiable dans le cadre d’une diplomatie moderne et respectueuse. Le Cameroun, comme d’autres nations, cherche à réaffirmer son contrôle total sur son territoire et ses ressources, une démarche essentielle pour son développement économique et sa pleine autonomie.
Le Décret 59-177 n’est pas un simple document administratif. Il est le témoin d’une époque, un symbole des tensions et des compromis qui ont marqué l’accession du Cameroun à l’indépendance. Il invite à une réflexion plus large sur les termes de cette indépendance, les dynamiques de pouvoir sous-jacentes et les implications à long terme des décisions prises à un moment charnière de l’histoire.









