[Vitrine du Cameroun] – « Assises pour une nouvelle pensée africaine ». Tel avait le thème d’une conférence internationale qui a réuni en 2022 à Yaoundé, quelques-uns des intellectuels africains ou d’origine africaine les plus renommés dans le monde.
Pendant plusieurs jours, Théophile Obenga, Noussiéré Kalala Omotunde, Grégoire Biyogo et autres Cheikh Tidiane pour ne citer que ces quelques figures de proue du pensum négro-africain, ont croisé le verbe à l’effet de disent-ils, « poser les bases d’une nouvelle pensée africaine » à l’ère de la mondialisation et du choc des civilisations que ce brassage interculturel inhérent à notre époque, provoque invariablement.
Ce cadre de discussion pluridisciplinaire, a baladé les participants au cœur de différentes sciences différentes : l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, l’égyptologie, la science politique, l’économie etc. Toutes ces disciplines devaient se rejoindre autour d’un objet d’analyse commun : comment affirmer plus amplement la pensée africaine dans le contexte mondial actuel.
Pour le chercheur en Sciences de l’Information et la Communication (SIC), les problématiques soulevées bien qu’elles valent leur pesant d’or, élude un aspect capital : la contribution que pourrait avoir les industries culturelles et créatives dans les nouvelles stratégies de véhicule de l’idéologie africaine face aux autres ordres informationnelle (expression prise au sens de Bernard Miège), plus viraux, plus puissants.
Il convient de rappeler que la pensée africaine depuis les premiers élans d’émancipation intellectuelles dans la moitié du XXe siècle, s’est principalement voulu livresque, intellectuelle et par conséquent élitiste. Plus d’un demi-siècle plus tard, il est loisible de constater pour le déplorer, que le modus operandi est resté le même, dans un monde qui est pourtant en constante mutation. Les approches choisies par la conférence du Cerdotola en sont la preuve.
Véhiculer une idéologie, une pensée qu’on souhaite qu’elle s’enracine durablement dans les esprits d’une cible précise en même temps qu’elle saura faire face aux camps d’en face n’est ni plus ni moins, qu’un acte de communication. A ce titre, la transmission du message doit être fluide et adaptée au public visé pour espérer atteindre les objectifs escomptés.
En d’autres termes, si les intellectuels africains pour asseoir leur vision du monde dans une société mondialisée ont toujours fait la part belle aux méthodes savantes (essais, livres scientifiques, conférences intellectuelles), l’on ne peut guère s’étonner que cette arme de propagande ne fasse pas le poids devant celles de l’Europe, des Etats-Unis et d’Asie. Le continent africain est le plus jeune du monde avec une moyenne d’âge de 19 ans. Cette tranche majoritaire de la population, n’est pas la cible qu’on pourrait atteindre via les publications élitistes qui entendent véhiculer la pensée africaine. Pour ce segment de la population comme pour d’autres, la diversification des supports issus de la sphère des industries culturelles et créatives s’avère être plus qu’un impératif. Le cinéma, la bande dessinée, les jeux vidéo, les livres pour enfant, l’audiovisuel etc. sont autant de supports plus adaptés au large public africain, grand consommateur des productions de cette nature qui transmettent les ferments idéologiques des espaces culturels où elles prennent naissance.
Depuis l’Allemagne nazie à Serge Tchakotine (dans son livre le viol des foules par la propagande), en passant par Horkheimer et Adorno (Dialectique de la raison), il est établi que les industries culturelles sont un moyen de propagande idéologique à la puissance indéniable. Les Etats-Unis à travers la célèbre politique dite de « American Way of life », la France et son « Exception culturelle », ont compris les enjeux importants liés à la structuration d’une industrie culturelle qui compte dans le concert des nations.
L’industrie du manga au Japon et Nollywood au Nigeria : regards croisés de deux succès inspirants
L’univers du manga est un autre exemple de succès d’une industrie culturelle est créatrice qui a su puiser dans l’identité locale japonaise, pour devenir un phénomène planétaire.
Fort de son style artistique unique et ses thématiques toujours à la pointe de l’innovation, le manga su transcender des frontières culturelles et laisser une marque indélébile sur l’imaginaire du public à travers le monde. C’est aujourd’hui, la passerelle par excellence vers la culture japonaise. Véritable phénomène, il a su conquérir des adeptes dans tous les coins du monde, ce qui a créé une vraie publicité sur le Japon. La puissance du manga réside aussi dans le fait que ce genre éditorial, réussit à développer dans un univers fictif, des sujets complexes comme : la mythologie, la philosophie, la spiritualité, la géopolitique du monde etc.
Plus qu’un simple divertissement, le manga s’est imposé comme l’un des produits d’exportation les plus lucratifs du Japon, tant sur le plan économique que social. En 2022, l’industrie de l’anime à elle seule a généré 27.400 milliards de yens (environ 175 milliards d’euros ou 194 milliards de dollars US), un record absolu depuis 2010 selon un rapport de l’Association of Japanese Animations. (Equal Times, 2024).
L’industrie cinématographique Nollywood au Nigeria apparaît comme une éclaircie dans un environnement qui n’a pas vite misé sur le cinéma en tant qu’outil de véhicule de la pensée et de la culture des peuples. Au fil des expériences, Nollywood s’est construit et est devenu aujourd’hui le deuxième plus grande producteur de films au monde, juste derrière Hollywood, avec plus de 2 000 films produits chaque année. Derrière le succès de Nollywood, c’est toute une identité culturelle qui s’est mondialisée sous divers plans.
Cette identité plurielle s’appuie sur un soubassement idéologique général qui prend en compte la mode, la gastronomie, les us et coutumes, la tradition orale etc. A ce sujet, Françoise Ugochukwu (2019) pense que Nollywood est un continuum de la transmission des traditions orales africaines. Les films qui offrent un mélange de scènes urbaines et rurales et s’adressent au public en diverses langues locales qui sont associés à l’anglais, ont franchi les frontières, envahi le reste de l’Afrique et pénétré le reste du monde. Le cas de Nollywood est donc à n’en point douter un modèle du genre, lorsqu’on veut convoquer le cinéma comme vecteur de la culture et promotion d’une identité, d’une manière de penser et de concevoir le monde.
Nollywood n’est pas qu’un support culturel, mais aussi une activité économique rentable. L’industrie génère environ 853,9 milliards de nairas (environ 2,3 milliards d’euros) par an et contribue à 1,2% du PIB du Nigeria. Elle emploie plus d’un million de personnes et est un moteur important de la croissance économique du pays.
Le cas de Nollywood et celui du manga au Japon, montre à souhait, que les pays africains ont tout à gagner en faisant du secteur des industries culturelles et créatives, un secteur prioritaire de développement.
Par Cédric Mimfoumou Zambo, Chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC)
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