
[Vitrine du Cameroun] – Le Projet de Loi de Finances (PLF) de la République du Cameroun pour l’exercice 2026 est arrivé sur les bureaux des députés. Présenté comme un rempart de résilience face à la « persistance des turbulences » mondiales, ce document est avant tout un exercice d’équilibriste politique et financier. Si l’Exposé des Motifs brandit un optimisme macroéconomique (croissance attendue à 4,3% en 2026) et des gestes sociaux audacieux, l’analyse froide des dispositions fiscales et douanières révèle une pression accrue sur l’assiette existante, et une modernisation administrative qui, si elle n’est pas assortie de réelle transparence, risque de n’être qu’un outil de répression fiscale et non d’élargissement économique.
L’objectif affiché est clair : consolider les finances publiques en cohérence avec le Pacte de Convergence de la CEMAC et accélérer la mise en œuvre de la SND30. Mais à y regarder de près, les 5 887,0 milliards de FCFA de recettes internes attendues reposent principalement sur un durcissement des contrôles et une complexification ciblée des régimes d’exonération, plutôt que sur une véritable diversification structurelle de l’économie.
I. L’illusion de l’autonomie budgétaire
Le gouvernement se félicite d’une augmentation de 8,3% des recettes internes, pour un total de 5 887,0 milliards de FCFA. Cependant, cette performance est financée par deux leviers intrinsèquement instables ou contraignants :
La pression fiscale et douanière accrue
La plus grande partie de ces recettes (4 889,5 milliards de FCFA) provient des impôts et des douanes. Le PLF 2026 ne crée pas de nouvelles sources massives de richesse, mais se concentre sur une meilleure « optimisation » de la collecte, souvent synonyme d’une chasse aux sorcières fiscales plus agressive. L’interdiction du financement occulte des importations par « hawala », sous peine d’une amende de 25% des sommes compensées, vise légitimement la fraude, mais pourrait aussi paralyser une partie du commerce informel vital pour l’économie locale, faute d’alternatives bancaires adaptées et peu coûteuses.
La dépendance au financement externe
L’équilibre budgétaire global nécessite toujours 1 000 milliards de FCFA de financement extérieur. La « souveraineté » proclamée demeure largement conditionnée par la dette et les exigences des bailleurs de fonds.
La croissance de 4,3% est louable, mais dans un contexte où les chocs géopolitiques persistent, cette projection repose sur des hypothèses qui peuvent être rapidement balayées par la volatilité des marchés de matières premières ou la détérioration de la sécurité régionale. Le Cameroun semble compter davantage sur son inertie économique que sur une politique industrielle de rupture.
II. Les réformes douanières : la modernité au service de la répression
Le PLF 2026 introduit des réformes douanières qui affichent une façade de modernité, mais dont l’objectif principal semble être la traque des contrevenants :
L’Intelligence artificielle et le « Big Brother » douanier
L‘Administration des Douanes est autorisée à utiliser les « technologies de rupture », notamment l’Intelligence Artificielle (IA), pour le croisement des données et la détermination des bases de taxation. Si l’IA peut améliorer l’efficacité, elle est d’abord un outil puissant de surveillance et de contrôle. Sans un cadre légal de protection des données strict et indépendant, l’usage de l’IA risque de devenir une source d’arbitraire, où les algorithmes dicteront les montants à recouvrer. De même, l’accès au registre du bénéficiaire effectif est un progrès louable contre l’évasion, mais il doit être géré avec une rigueur absolue pour éviter toute instrumentalisation politique.
Sanctions drastiques
Les amendes pour violation du Programme de Vérification des Importations (PVI) atteignent 25% de la valeur imposable, et 50% en cas de récidive. Le fractionnement des déclarations pour contourner les seuils est également sanctionné. Ces mesures, en luttant contre la sous-facturation, alourdissent le risque pour les importateurs légitimes et peuvent encourager la corruption si l’application de la sanction n’est pas transparente.
L’application du Code des Douanes Harmonisé CEEAC-CEMAC est une nécessité régionale, mais elle se surajoute à une législation nationale déjà complexe, ajoutant une couche de bureaucratie et de technicité qui bénéficie rarement au petit opérateur.
III. Les incitations ciblées : une générosité conditionnelle
Le gouvernement déploie une panoplie d’exonérations qui, en principe, sont louables car elles visent des secteurs stratégiques et sociaux. Cependant, ces « cadeaux » fiscaux sont assortis d’une durée limitée ou d’une application trop spécifique, ce qui en mine l’impact à long terme :
Santé et énergies renouvelables
La prorogation des exonérations sur les équipements médicaux (24 mois) et les équipements d’énergies renouvelables (12 mois) est un demi-geste. Pourquoi ne pas rendre ces exonérations permanentes ? Le caractère temporaire introduit une incertitude pour les investisseurs et les empêche de planifier des projets à longue échéance, transformant l’incitation en simple palliatif ponctuel.
Les « exemptions d’humeur »
L’abattement de 30% sur les compléments alimentaires non fabriqués localement et l’exonération des véhicules pour personnes handicapées sont des mesures sociales bienvenues. Néanmoins, l’inflation réglementaire due à la multiplication des exonérations sectorielles spécifiques crée un régime fiscal à tiroirs, qui est l’ennemi de l’équité et de la simplicité. Il est notoirement plus facile pour les grandes entités de naviguer dans ce labyrinthe pour obtenir des avantages que pour les PME.
IV. La taxation des matières premières : un pas en avant, deux pas de côté
La décision d’imposer des droits de sortie sur certaines matières premières (minerai de fer, alumine, étain à 5% ; aluminium, cuivre à 2%) est un signe positif de la volonté de capter plus de valeur ajoutée locale. Cependant, la prudence est de mise :
Un prélèvement spécial de 10% sur le « clinker » et autres matières minérales bénéficiant déjà d’incitations fiscales pourrait être perçu comme un signal contradictoire par les entreprises ayant investi en se basant sur des régimes fiscaux stables. Le gouvernement doit veiller à ne pas déstabiliser les industries de substitution qui ont déjà pris le risque d’investir localement.
La lutte contre l’érosion de la base fiscale, notamment par la nouvelle définition de « cycle commercial complet » et de « présence économique significative » pour les entreprises non-résidentes, est une nécessité absolue face à l’économie numérique. Mais la véritable efficacité de cette mesure dépendra de l’expertise de l’administration à auditer ces structures complexes, et non de la simple proclamation de nouvelles règles.
V. Le fonds social : un pansement à 50 milliards
Le couronnement du volet social est la création du Fonds Spécial pour le soutien de l’autonomisation économique des femmes et la promotion de l’emploi des jeunes, doté de 50 milliards de FCFA. Ce montant, prélevé sur un budget général de près de 6 000 milliards, est un geste politique fort et nécessaire, répondant aux engagements présidentiels.
Cependant, l’histoire des fonds spéciaux au Cameroun est jonchée de bonnes intentions mal exécutées. Le succès de cette initiative ne résidera pas dans le montant initial, mais dans la gouvernance du fonds. Sans un mécanisme de distribution transparent, décentralisé, apolitique, et axé sur des résultats mesurables (taux de survie des entreprises créées, impact sur le taux de chômage des jeunes diplômés), ces 50 milliards de FCFA risquent d’être absorbés par les lourdeurs administratives ou de servir des objectifs clientélistes, sans jamais atteindre la masse critique de bénéficiaires qu’ils sont censés soutenir.
Enfin, les réformes de l’architecture budgétaire, notamment la suppression des chapitres communs et leur remplacement par deux dotations « dépenses accidentelles et imprévisibles » logées au MINFI et au MINEPAT, ainsi que l’éclatement du Fonds de Reconstruction, doivent être interprétées avec prudence. Si l’objectif est l’efficacité, le risque est une centralisation et une opacité accrues de l’utilisation des fonds de dernier recours.
En définitive, le Budget 2026 camerounais est un document de continuité, s’appuyant sur l’optimisme des chiffres pour justifier un durcissement du contrôle fiscal et douanier. Il étale quelques généreuses miettes sociales et d’incitations ciblées, mais manque d’une vision structurelle audacieuse. Le pari de la souveraineté fiscale sera gagné non pas en sanctionnant mieux les acteurs existants, mais en créant des conditions réelles pour que de nouveaux acteurs émergent et paient volontairement l’impôt dans une économie moins bureaucratique et plus transparente. Le défi reste le même : passer de la loi proclamée à la réalité vécue.









