[Vitrine du Cameroun] – Le changement climatique fait peser une lourde menace sur la sécurité alimentaire au Cameroun, et plus spécifiquement dans les régions septentrionales. Selon un nouveau rapport publié par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), 11% de la population camerounaise vit dans l’insécurité alimentaire.
C’est dans ce contexte national compliqué que la rédaction de Vitrine du Cameroun a pu interviewer Sylvie Djacbou, Chargée de Campagne Forêt chez Greenpeace Afrique. Dans cet entretien exclusif, elle alerte sur les dégâts causés par les changements climatiques au Cameroun et plus singulièrement dans le Grand-Nord. Elle partage également les pratiques innovantes et les actions à mettre en œuvre par les pouvoirs publics, pour renforcer la sécurité alimentaire dans le pays.
Quels sont actuellement les défis les plus aigus dans le secteur de la sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement au Cameroun ?
Au Cameroun, il existe plusieurs défis en matière de sécurité alimentaire et de protection de l’environnement.
Les défis de l’insécurité alimentaire : Malgré les efforts du gouvernement camerounais, de nombreuses personnes souffrent encore de la faim et de la malnutrition au Cameroun. Comme les chiffres du précédent rapport du MINADER, plus de 3 millions de camerounais sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Les catastrophes naturelles telles que les inondations et les sécheresses, ainsi que les conflits armés dans certaines régions du pays, ont un impact négatif sur la sécurité alimentaire.
Les défis de la perte de biodiversité : Le Cameroun est l’un des pays les plus riches en biodiversité en Afrique, mais la perte de la biodiversité est un problème majeur. La déforestation, la surpêche, la pollution et l’exploitation minière contribuent à la destruction des habitats naturels des plantes et des animaux, menaçant ainsi leur survie.
Les défis de la pollution plastique et de l’eau : La pollution plastique ainsi que celle de l’eau est un problème majeur au Cameroun. Les activités industrielles, notamment les sociétés brassicoles, l’exploitation minière et le raffinage du pétrole, ainsi que les pratiques agricoles, telles que l’utilisation excessive de pesticides et d’engrais, contribuent massivement à la pollution de l’environnement.
Les défis des changements climatiques : Les changements climatiques sont une menace pour la sécurité alimentaire. Le changement climatique accentue les défis à relevé par le secteur de la production agricole et la production alimentaire en général, avec une variabilité́ climatique plus importante, un défi en soi pour la culture et l’élevage, mais également des évènements extrêmes plus fréquents (sécheresses et inondations). Pour l’agriculture dont dépendent très fortement la sécurité́ alimentaire et la lutte contre la pauvreté́, c’est bien du fait des effets attendus sur les ressources en eau que le changement climatique a un impact majeur, catastrophique. Le manque d’eau pendant le cycle de production, (en agriculture pluviale – l’immense majorité́ des surfaces cultivées et exploitées en pâturage – et en agriculture irriguée), la survenue d’inondations avant la récolte, sont des menaces réelles pour la sécurité́ alimentaire de zones déjà̀ en difficulté. Les régions septentrionales subissent de plein fouet les conséquences des changements climatiques, la saison agricole 2022 par exemple a été́ marquée par la rareté́ des précipitations. En exemple, les débordements récurrents des eaux du fleuve Logone ou du Lac Tchad par exemple affectent l’environnement, notamment la biodiversité́, et menacent la santé des populations. Il en est de même des pertes agricoles consécutives à la destruction des champs de coton, de maïs, de mil due à l’invasion de la chenille légionnaire.
Quelles sont vos recommandations pour améliorer la souveraineté alimentaire dans les régions septentrionales les plus touchées, en prenant en compte notamment les dimensions environnementales ?
Malgré un fort potentiel économique, la région reste la plus pauvre du pays. Les secteurs de l’agriculture et de l’élevage ne sont pas assez structurés, et le manque de ressources techniques et financières ne permet pas aux populations de vivre dignement de leur activité. L’amélioration de la souveraineté alimentaire dans les régions septentrionales les plus touchées nécessite une approche globale qui tienne compte de plusieurs dimensions, notamment environnementales, économiques et sociales.
A cet effet, pour contribuer à améliorer la souveraineté alimentaire dans ces régions il est important d’encourager l’agriculture locale : Les régions septentrionales ont des conditions climatiques et environnementales particulières qui peuvent être difficiles pour l’agriculture. Cependant, en encourageant l’agriculture locale et la production alimentaire dans ces régions, il est possible d’améliorer la souveraineté alimentaire et de réduire la dépendance aux importations.
Il est aussi important de promouvoir l’agroécologie. L’agroécologie est une approche respectueuse de l’environnement qui permet de produire des aliments sains et nutritifs en utilisant des méthodes agricoles durables. En promouvant l’agroécologie dans les régions septentrionales, il est possible de maintenir la fertilité des sols et de préserver les écosystèmes locaux. Il est également important de renforcer un système d’alerte précoce pour prévenir les vagues de chaleur et sécheresses.
Une autre approche est de favoriser la diversification des cultures. La diversification des cultures permet de réduire la dépendance à une seule culture et de prévenir les risques liés aux maladies et aux ravageurs. En encourageant la diversification des cultures dans les régions septentrionales, il est possible de garantir une production alimentaire plus stable et plus diversifiée.
Il faut noter que tout ceci ne serait un travail vain si les filières de transformation locale ne sont pas développées. En effet, la transformation locale des produits agricoles peut créer de la valeur ajoutée et contribuer à la création d’emplois locaux. En développant les filières de transformation locale dans les régions septentrionales, il est possible de valoriser les produits locaux et de stimuler l’économie locale.
Enfin pour ma part il serait nécessaire, voir crucial de renforcer la formation et la recherche en agriculture au Cameroun. Le renforcement de la formation et de la recherche en agriculture permettra de mieux développer des capacités locales pour répondre aux défis agricoles et environnementaux. En renforçant la formation et la recherche en agriculture dans les régions septentrionales, il est possible d’améliorer les pratiques agricoles et de développer des solutions innovantes pour une agriculture plus durable.
A noter que ces recommandations nécessitent une coordination effective et efficiente entre les gouvernements, les acteurs locaux et les organisations de la société civile locale et internationale. Il est important de prendre en compte les dimensions environnementales dans toutes les actions entreprises pour améliorer la souveraineté alimentaire afin de garantir une production alimentaire durable à long terme dans ses régions et au Cameroun en générale.
En dehors de sensibiliser, que fait Greenpeace sur le terrain pour réduire les risques d’insécurité alimentaire au Cameroun ?
Greenpeace contribue à réduire les risques d’insécurité alimentaire en menant des actions qui contribuent à limiter les effets des changements climatiques. Greenpeace bâtit des alliances avec les communautés locales et indigènes, les ONG nationales et ses bénévoles dynamiques pour informer et éduquer les populations sur la déforestation. Greenpeace propose et encourage aussi les solutions alternatives à l’agriculture industrielle comme l’agriculture écologique.
Greenpeace mène des actions pour préserver, protéger et restaurer les écosystèmes les plus précieux et leurs populations, Greenpeace travaille stratégiquement avec ses partenaires pour dénoncer les moteurs de la déforestation et de la dégradation des forêts, les contextes économique, social, politique et de modèle d’entreprise, la vaste corruption et le manque de transparence, le manque de bonne gouvernance et de responsabilité, l’absence de règles et de droit appropriées pour garantir les droits des populations dépendantes des forêts pour leur survie, et le manque de planification inclusive de l’utilisation des terres et d’évaluation rationnelle des ressources naturelles.
Avec la campagne que Greenpeace mène, elle travaille également à mettre en lumière le système brisé et inéquitable qui sert les intérêts des entreprises postcoloniales et les intérêts de quelques élites riches plutôt que l’économie nationale et la sécurité alimentaire des communautés du bassin du Congo.
Greenpeace contribue également à la promotion de modèles de développement alternatifs qui peuvent assurer un équilibre entre le développement, la destruction des forêts et la justice sociale – comme les énergies renouvelables, la reconnaissance appropriée des droits coutumiers des peuples autochtones et de leurs connaissances en matière de conservation des forêts. Greenpeace mène également des plaidoyers en faveur d’une réforme foncière qui garantisse des processus transparents et inclusifs de planification de l’utilisation des terres, ainsi que la reconnaissance et le renforcement des droits des communautés locales et autochtones. Sachant que sans l’accès à la terre il est impossible pour ses communautés de développer des activités agricoles.
Existe-t-il actuellement des programmes que vous estimez particulièrement bénéfiques pour lutter contre les changements climatiques ?
Oui, Je pense qu’il existe de nombreux programmes bénéfiques pour lutter contre les changements climatiques.
Notamment les énergies renouvelables. Nous continuons d’encourager les gouvernements à investir dans les énergies renouvelables telles que l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique et biomasse. Ces derniers peuvent contribuer à réduire considérablement réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Nous demandons également l’arrêt de la déforestation et la reforestation des zones déjà dégradées. Planter des arbres peut aider à absorber le dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère dû à une précédente coupe d’arbre. Mais ce programme n’est en aucun cas un appel à verdir les actions des déforestations, mais plutôt à stopper la déforestation et contribuer à réparer leurs actions néfastes.
La gestion des déchets, le gouvernement devrait encourager le recyclage et la réduction des déchets peut réduire les émissions de gaz à effet de serre et contribuer à une économie circulaire. Ces programmes ne sont pas exhaustifs, mais sont des exemples de mesures que les gouvernements, les entreprises et les individus peuvent prendre pour lutter contre les changements climatiques.
Comment jugez-vous les actions du gouvernement dans la lutte contre les changements climatiques et l’insécurité alimentaire ?
Depuis de nombreuses décennies, le gouvernement s’est contenté de belles paroles pour réduire les importations alimentaires et améliorer et moderniser le secteur agricole au Cameroun. Des initiatives gouvernementales comme la Société de Transformation du Manioc de Sangmelima (SOTRAMAS) ont été conçues pour stimuler la production locale, mais les Camerounais n’en voient encore aucune retombée. Il serait préjudiciable et catastrophique pour le gouvernement de maintenir ce statu quo.
En matière de lutte contre les changements climatiques, les actions du gouvernement Camerounais démontrent un manque de volonté totale. Puisque en dépit du fait de ses effets, le gouvernement continue d’attribuer d’énormes surfaces de terres pour l’agriculture industrielle, contribuant ainsi à la déforestation, la destruction de la biodiversité et l’accaparement des terres. Oui des accords sont signés et des engagements pris, mais le gouvernement Camerounais doit impérativement aller au-delà des beaux discours et mettre un STOP à la déforestation. De grandes surfaces forestières concédées à des entreprises telles que CAMVERT dans le Sud Cameroun seront détruites, ce qui accentuera la crise du climat, de la biodiversité mais également de la sécurité alimentaire. Par ailleurs, la lutte contre la pollution par les déchets plastiques est encore insuffisante ou limitée et laisse entrevoir une certaine inefficacité. Pour contribuer à limiter les effets du changement climatique et ainsi répondre à la crise alimentaire, le gouvernement devrait revoir son présent modèle de développement économique qui est basé sur la déforestation à grande échelle.
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