[Vitrine du Cameroun] – Depuis quelque temps, le rythme des pluies a changé et la chaleur est de plus en plus vive dans les villes camerounaises. Une situation catastrophique pour les populations et particulièrement les agriculteurs.
Malheur des agriculteurs
L’air est chaud cette matinée du vendredi au quartier Nkoabang, une localité à l’entrée est de Yaoundé. L’attention des habitants du quartier « Vie continue » est entière devant un drame qui suscite l’étonnement général. Un jeune agriculteur du nom de Yannick, en larmes, vient de perdre près de la moitié de son champ de pastèque. L’exploitation qui tient sur près d’un hectare et demi présente des fruits de couleur vert clair, fendus et pourrissants. Yannick réside au quartier Santa Barbara, non loin de la Présidence de la République du Cameroun.
« J’étais juste de passage. Je comptais récolter dans deux semaines », confie l’électricien de formation avec désolation. Il n’y comprend rien du tout. Mais un autre agriculteur sur place estime que c’est certainement dû à la chaleur importante « C’est normal. La pastèque ne peut pas réussir quand la température dépasse déjà 30ºC », s’exclame Mathieu, qui tient un champ d’ananas dans le coin. En effet, l’analyse des données de l’Observatoire National sur les changements climatiques sur la période comprise entre les mois de mars, avril et mai révèle des températures supérieures aux moyennes régionales historiques dans les régions de l’Extrême-nord, du Nord, du Centre, de l’Est, du Sud, du Nord-Ouest, du Littoral et du Sud-Ouest.
Avec l’aval de Yannick, la foule nombreuse entre dans la plantation pour récupérer les fruits qui pouvaient encore l’être. Un peu moins d’une centaine de fruits. Le visage fermé, Yannick en prend deux avant de partir en vitesse sur sa moto. Il se demande comment il fera pour récupérer les près de deux millions de FCFA investis dans son champs.
Ce n’est pas la seule infortune des plantations attribuée aux températures élevées dans la ville de Yaoundé. Armand a vu son champ de tomates mourir pratiquement de la même façon à Mfou, une ville située à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé. Agriculteur depuis 4 ans dans la localité, c’est la première fois pour lui d’observer des tomates flétrir malgré toutes les dispositions habituelles prises.
Une plantation affectée par les températures élevées © Romulus Kuessié
« Il est vrai que la pluie est arrivée avec plus d’un mois de retard ; mais je faisais l’effort de bien arroser mes plantes. Certainement c’est la chaleur qui cause tout ça. », déduit celui qui a cultivé la tomate sur un peu moins d’un hectare. Il n’a pas totalement perdu, mais devra re près de la moitié de son exploitation et surveiller davantage son champ pour ne pas perdre totalement comme l’un de ses voisins.
En effet, Jonas Eba qui tient un important champ de gombo à Mfou, était si surpris avec l’assèchement total de ses plants qu’il a demandé conseil à ses compères sur les réseaux sociaux « Je ne sais pas ce qui arrive à mon gombo et pourtant je traite ça avec de l’engrais foliaire, l’insecticide et l’anti capside. NB : deux mois déjà qu’ils ont ça », a alarmé Jonas. « Cela est dû à la température qui est vraiment chaude maintenant et le problème d’arrosage. » Lui a répondu Yaroung comme de nombreux autres cultivateurs. Des faits inhabituels que comprend Narcisse Ndjekeu « Les températures élevées sont malheureusement accompagnées de la rareté des pluies ce qui cause un stress hydrique chez les plantes donc le métabolisme est modifié (transpiration élevée sans compensation hydrique) », développe et expert en environnement.
Une plantation affectée par les températures élevées © Agrofarm
Le phénomène s’est observé dans quasiment toutes les régions du Cameroun. Dans la région de l’Ouest, l’une des principales régions agricoles du pays, des plantations entières ont été affectées par les vagues de chaleur inhabituelles. Certains agriculteurs ayant mis leurs semences en terre à l’entame de la saison agricole en mars, ont vu les graines pourrir du fait des températures élevées. Beaucoup d’autres ont vu les graines qui avaient préalablement germé flétrir. Docteur Narcisse Njekeu pense que la perte totale des plantations est très probable dans cet état de choses.
Sauver les cultures
Ces dérèglements ne laissent pas les agriculteurs indifférents. Certains comme Jérémie Ndip optent pour diverses techniques de gestion de l’eau, comme l’arrosage et l’irrigation mécanisée pour garder leurs exploitations ; une pratique accréditée par les experts. « La seule solution c’est d’apporter ce qui fait défaut : l’eau. », souligne Docteur Narcisse Njekeu, écologue et expert en environnement. Au-delà de l’humidification des champs, on rencontre des agriculteurs qui misent doublement sur les engrais pour surmonter les problèmes liés aux températures élevées.
Une option qui n’est pas toujours sans risques selon une étude dénommée « La mort des sols agricoles » publiée en 2016 dans la revue scientifique Cairn. La production révèle que lorsqu’on apporte de l’eau sur un sol chaud fourni d’engrais, cela contribue à détruire fortement la faune qui se nourrit des sols. Du fait de cette situation en France « La population de vers de terre est ainsi passée de 2 tonnes/hectares à moins de 100 Kg /ha en 50 ans », évoque l’étude.
Et pourtant, la faune aère les sols et remonte son poids de terre tous les jours sous forme d’excréments qui sont très riches en éléments nutritifs. Un sol chaud bondé d’engrais perd sa fertilité. Yannick et Jonas n’avaient pas du tout cette information, comme les autres exploitants agricoles de la ville de Yaoundé que nous avons approchés.
Revers sur les citoyens
Les données de l’Observatoire National sur les changements climatiques précisent que 8 régions du Cameroun connaissent d’importants changements, notamment avec les températures plus extrêmes et les pluies moins abondantes. Vivre à Yaoundé, à Douala, à Kribi, Maroua etc. rime désormais avec une canicule presque étouffante jour comme de nuit. On apprend d’ailleurs du bulletin climatique mensuel de l’Observatoire national sur les changements climatiques que le thermomètre a atteint la barre des 47°C dans les régions de l’Extrême-nord et du Nord.
De quoi alarmer Pr Olivier Henry, Gériatre et enseignant à la faculté de santé de l’université Paris Est Créteil. « A partir de 38 degrés c’est une hyperthermie. Votre organisme commence à chauffer. Mais à partir de 40° ça ne va pas bien. C’est le coup de chaleur. Il y a des signes d’alerte ; la soif, des nausées, des maux de tête, de la fatigue et un cœur qui bat vite ; une tachycardie ou une respiration qui devient courte », explique le spécialiste. La gravité du contexte n’a pas laissé le ministre camerounais de la Santé publique indifférent.
Entre les lignes d’un communiqué rendu public ce 10 mai 2024, le membre du gouvernement reconnaît « les effets néfastes de ce changement climatique sur la santé des personnes » avant d’édicter 8 gestes de prévention à adopter par les populations. Parmi elles, les prescriptions de « boire suffisamment d’eau tout au long de la journée ; éviter les activités physiques intenses pendant les heures les plus chaudes, surveiller les personnes vulnérables, comme les personnes âgées, les malades chroniques et les enfants … », peut-on lire.
Dans le même temps, l’utilisation de certains engrais par les agriculteurs peut entraîner d’autres problèmes. Selon l’étude dénommée « La mort des sols agricoles », l’acidité des sols chauds bondés d’engrais pollue les rivières et les nappes phréatiques. Ce qui induit que l’eau dans ce périmètre est d’une mauvaise qualité et par conséquent impropre à la consommation des usagers.
Perspectives
Le ministre Camerounais de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable a rappelé à l’occasion de la sixième assemblée des nations unies pour l’environnement à Nairobi au Kenya que « La lutte contre la triple crise environnementale (changements climatiques, perte de la biodiversité et pollution), et les soutiens au développement durable restent et demeurent la clé des solutions à tous nos maux (pauvreté, instabilité politique et sociale, insécurité alimentaire avec les impacts sur la santé humaine). », a annoncé Hélé Pierre en février 2024.
L’atteinte de ce cap passera par les efforts conjugués de l’Etat et des citoyens camerounais. Les appels à adopter des comportements respectueux de l’environnement ; à savoir la préservation de nos forêts en proie à la déforestation, le planting des arbres entre autres. Il est également fortement déconseillé de consommer des matériaux non dégradables en privilégiant ceux qui sont réutilisables et qui ne risquent pas de se retrouver dans la nature.
Dans une étude publiée ce 9 mai 2024 dans la revue Science Daily, il est établi que cette hausse des températures qu’on observe peut limiter la transmission du paludisme. Le groupe de scientifiques britanniques de l’université de Leeds explique que le manque de précipitations et les pénuries d’eau pourraient limiter la reproduction des moustiques par manque d’habitat.
«Avec ces données, vous pouvez non seulement identifier où l’eau va se retrouver dans le paysage, mais également les propriétés de ces étendues d’eau et vous pourrez mieux cibler votre stratégie d’intervention contre le paludisme et l’adapter à ces conditions écologiques », explique Mark Smith, professeur agrégé de l’Université de Leeds et principal auteur de l’étude. De toute évidence, les températures élevées sont fréquemment accompagnées de pluies anormalement fortes qui entraînent parfois des inondations au Cameroun; peut-être une entorse à cette conclusion scientifique.
Par Romulus Dorval KUESSIE
Ce reportage a été réalisé dans le cadre de la bourse Media for Climate Action portée par L’ organisation Actions for Development and Empowerment (ADE) financé par L’Ambassade de France au Cameroun et le Conseil pour le Suivi des recommandations du Nouveau Sommet Afrique- France (Conseil NSAF )
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