[Vitrine du Cameroun] – Dans une tribune publiée le 30 juillet 2024 et dont Vitrine du Cameroun a obtenu copie, l’économiste et homme politique camerounais Louis Marie Kakdeu fait l’autopsie du phénomène d’absentéisme dans la fonction publique camerounaise non sans proposer des pistes de sortie.
Cameroun : Augmenter les salaires pour réduire l’absentéisme dans le service public
Tout un Conseil de cabinet a été consacré ce 25 juillet 2024 au problème d’absentéisme. Selon les honorables membres du gouvernement, il faut réprimer l’absentéisme pour le bon fonctionnement du service public.
Selon les chiffres officiels, c’est 8766 cas d’absences irrégulières qui ont été recensés au Cameroun cette année. Les conséquences annoncées sur l’action publique sont entre autres des lourdeurs administratives, des baisses de performance ou des manques à gagner pour l’Etat. Toutefois, la question est de savoir si le Conseil de cabinet a pris le problème du bon bout.
Faut-il seulement réprimer sans traiter les causes ? Je m’en vais dans le cadre de cette réflexion esquisser une lecture citoyenne de la situation. C’est bien beau d’aborder les questions sociales toujours du haut en envoyant des prescriptions à respecter par le bas, mais c’est plus efficace d’adopter l’approche bottom-up pour comprendre pourquoi le camerounais est absent de son poste de travail. Où est-il aux heures de travail ?
Joindre les deux bouts
Le Conseil de cabinet ne s’est pas posé la bonne question : où est l’agent public lorsqu’il n’est pas à son poste ? Est-il au bar ? Peut-être pour une minorité. Se divertit-il ? Surtout pas. Est-il en vacances ou au repos ? Non, le Camerounais n’a pas de repos. Est-il en balade ? Non surtout pas ! Il est où alors ? La réponse est simple : il est en train de « se chercher ». Il est allé « chercher à joindre les deux bouts ». Pourquoi ?
Parce que si vous voulez donner une alimentation équilibrée à vos enfants, alors le salaire de la fonction publique ne suffit pas pour vous le permettre. Si vous voulez avoir un logement décent au Cameroun, alors le salaire de la fonction publique ne suffit pas. Si vous voulez envoyer vos enfants dans une école privée, alors le salaire de la fonction publique ne vous le permet pas. Si vous voulez avoir de bons soins médicaux, alors le salaire de la fonction publique ne vous le permet pas. Etc. Voilà la réalité du travailleur camerounais. L’agent public vient à son poste pour faire « acte de présence ».
Ensuite, il va se débrouiller pour nourrir sa famille. Il va mettre sa famille « en abris » au Canada. Il cherche la sécurité et la stabilité qu’il n’a pas au Cameroun. Voilà la situation réelle du Camerounais que le Conseil de cabinet n’a pas traité. Il veut réprimer pour réprimer alors que la situation ne fait que s’empirer depuis des années que l’on réprime. Cette obstination de nos dirigeants à foncer toujours tout droit vers le mur révèle plutôt l’absence criarde des réflexes d’évaluation des politiques publiques qui font avancer d’autres pays. Chez nous, une politique ne marche pas mais, on la reconduit, même par clientélisme. Croyant plaire à Son Excellence !
La répression n’est pas la solution.
Plusieurs théories ont été développées pour contenir le flux des absences irrégulières dans le service public. Chaque 23 juin, se célèbre depuis 1994 la Journée Africaine de la Fonction Publique. Pour les uns, l’absentéisme chronique dans la fonction publique camerounaise est causé par une mauvaise organisation du travail.
C’est vrai que l’on peut mettre beaucoup de choses dans le concept d’organisation. Pour les autres, c’est un retard dans l’intégration des innovations technologiques dans le service public, notamment le télétravail. Ces approches top-down nous semblent inadéquates parce que les absents ne sont pas couchés chez eux lorsqu’ils ne sont pas à leurs postes. Je privilégie plutôt la piste de la motivation et/ou de l’incitation (intégrative ou instrumentale) à garder son poste de travail. J’appartiens à l’école socio-démocrate qui privilégie l’attribution des facilités nécessaires pour le travail. Au lieu de réprimer les travailleurs comme l’envisage le gouvernement, il faut plutôt leur donner des facilités pour travailler. Il faut donc améliorer les conditions de travail au Cameroun pour offrir aux citoyens la stabilité et la sécurité qu’ils vont chercher ailleurs, notamment au Canada. L’augmentation des salaires (divisés par 3 en 1993) a été gelée pendant plus de 30 ans alors que le taux d’inflation avoisinait les 10% tous les ans. Il faut observer que le taux d’absentéisme augmente chaque année proportionnellement au taux d’inflation. En d’autres termes, plus c’est dur au pays, plus les gens sont absents.
L’erreur à ne pas commettre aujourd’hui, c’est d’aborder la question du service public sous l’angle de la morale et des jugements de valeur (ethos). Il ne faut pas donner des leçons de patriotisme aux gens qui suffoquent. Le ventre affamé n’a point d’oreille, dit-on. La minorité qui bouffe ne peut pas se donner le droit, au nom de sa position politico-administrative confortable et éternelle, de donner des leçons de morale à la majorité qui souffre. Revenons sur terre et disons-nous des vérités : les uns ne vont pas continuer à travailler avec assiduité pendant que les autres bouffent. Il faut trouver ici la cause profonde des absences. Le taux d’absentéisme ira croissant tant que cette injustice sociale n’est pas réglée.
Il appartient aux autorités politiques de prendre leurs responsabilités. Le Conseil de cabinet du 25 juillet 2024 a échoué à adresser le problème de coût de vie au Cameroun. Parce que c’est de ça qu’il s’agit. L’ensemble du gouvernement a échoué à favoriser la création des richesses au pays. On me demandera avec quel argent on augmentera les salaires. Je répondrai que dans un pays normal, l’augmentation des salaires est indexée au taux de croissance. Si le taux de croissance annuelle est de 7%, alors vous augmentez aussi les salaires de 7% sinon, vous ne faites pas de la redistribution et vous créez plutôt de la souffrance en ignorant l’inflation qui suit la croissance. Ce gouvernement crée de la souffrance et les gens se débrouillent comme ils peuvent pour survivre.
Pour rappel, le SDF, transformé et plus déterminé, a pris l’engagement ferme d’inverser la tendance.
Avec l’aide de Dieu.
Louis-Marie Kakdeu, HDR, PhD & MPA
Deuxième Vice-Président National SDF
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