[Vitrine du Cameroun] – « Jusqu’à la dernière grume ». C’est l’intitulé d’une enquête « approfondie » réalisée par Environmental Investigation Agency (EIA US) et publiée récemment, qui met en lumière les illégalités systémiques dont souffre le secteur de l’exploitation forestière industrielle en République démocratique du Congo (RDC).
Fruit de la collaboration avec Actions pour la Promotion et la Protection des Peuples et Espèces Menacés (APEM) et Rainforest Foundation UK (RFUK), l’enquête révèle que « les illégalités rampantes dans le secteur de l’exploitation forestière industrielle en RDC menacent à la fois la forêt et les communautés qui en dépendent ». Pourtant, la RDC abrite environ 60% de la forêt tropicale du Bassin du Congo, considérée comme la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, derrière l’Amazonie. Ce massif forestier de la RDC un haut lieu de la biodiversité et un puits de carbone vital qui contribue à atténuer le changement climatique mondial.
Le rapport d’EIA présente surtout les résultats d’une enquête sur les deux plus grandes sociétés d’exploitation forestière industrielle opérant en RDC à savoir Wan Peng et Booming Green, qui se démarquent par la superficie de leurs exploitations. A en croire les investigations menées, les deux groupes chinois sont engagés dans une série de crimes forestiers apparents et de corruption afin de répondre à la demande de leurs clients pour des grumes non transformées. Les enquêteurs d’EIA ont entendu des responsables de l’entreprise qui ont décrit la violation des quotas d’exploitation, la fausse déclaration des espèces pour faciliter la surexploitation afin de satisfaire les clients en Chine et le paiement systématique de pots-de-vin pour couvrir les illégalités. Un responsable de Wan Peng a également admis que la société avait obtenu une concession en RDC en versant un pot-de-vin au « général », une référence apparente au général Gabriel Amisi Kumba, sanctionné par les Etats-Unis et l’Union européenne pour des cas de violations des droits de l’homme.
La RDC, destination pour le blanchiment de grumes en provenance des pays voisins
Les responsables du secteur forestier qui ont parlé aux enquêteurs d’EIA expliquent également dans le rapport que la RDC est une destination exceptionnelle pour le blanchiment de grumes tropicales en provenance des pays voisins. La preuve : les entreprises y ont la liberté d’exporter du bois sous forme de grumes brutes, non transformées, alors que d’autres pays du bassin du Congo et d’ailleurs s’efforcent d’interdire l’exportation de grumes non transformées, dénonce EIA. L’un des cas les plus patents et l’introduction des piles de grumes fraîchement introduites par contrebande depuis la République du Congo voisine durant la période de l’enquête. Or, le pays a récemment adopté l’interdiction d’exporter des grumes a récemment été adoptée. L’enquête d’EIA a également révélé que la possibilité pour les exploitants forestiers d’exporter des grumes joue un rôle important dans la rentabilité de leurs délits forestiers. Les responsables de Wan Peng et de Booming Green ont expliqué qu’ils exportaient « 100 % » de grumes et que cela était essentiel pour répondre à la demande de leurs clients, rassure l’enquête.
« La non-application de l’interdiction d’exporter des grumes est une occasion manquée pour la RDC. Si les exploitants forestiers industriels sont obligés de transformer le bois à l’endroit où il est récolté et si des politiques d’accompagnement adéquates sont mises en œuvre, cela stimulera les économies nationales et provinciales et créera des emplois pour les jeunes », fait observer le responsable du programme Afrique à EIA, Raphael Edou. Avant d’ajouter : « Le secteur forestier de la RDC bénéficie d’un soutien financier important de la part d’organisations internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ainsi que de donateurs bilatéraux comme les Etats-Unis, la France et la Norvège. Mais cet argent ne donnera pas des résultats efficaces si l’on ne s’attaque pas aux problèmes structurels du secteur de l’exploitation forestière industrielle, comme le laisser-faire en matière de blanchiment de bois en RDC, qui menace la gouvernance forestière dans les pays voisins ».
Seulement 6% des concessions d’exploitation industrielle en RDC répondent aux critères de légalité du code forestier
Le rapport est parti des résultats préliminaires de l’analyse faite par APEM et RFUK sur 82 concessions forestières gérées par 29 entreprises et couvrant environ 14,5 millions d’hectares (13 millions d’hectares pour les concessions d’exploitation industrielle et 1,5 million d’hectares pour les concessions de conservation). Ces résultats ont démontré que seulement 6% des concessions d’exploitation industrielle en RDC répondent aux critères de légalité selon le code forestier du pays. Les résultats de l’analyse, qui comprenaient un examen des audits gouvernementaux, des rapports des bailleurs de fonds et des entretiens avec des fonctionnaires, sont actuellement examinés en consultation avec des acteurs de la société civile et des experts gouvernementaux et seront bientôt disponibles, soulignent les auteurs de l’enquête.
En outre, l’exploitation forestière industrielle en RDC n’apporte qu’un bénéfice économique négligeable, plus de 42% des concessions forestières n’étant pas en règle avec le paiement de leurs taxes de surface. Le secteur est également caractérisé par un faible impact social, avec seulement 15% des entreprises qui respectent leurs obligations socio-économiques envers les communautés locales. Toutes choses qui ont contribué à conclure que le secteur de l’exploitation forestière industrielle centré sur les grumes ne contribue pas de manière équitable à l’économie et à l’emploi congolais et sape les efforts régionaux visant à contrôler les exportations de grumes et à résoudre les problèmes de gouvernance dans le secteur forestier. Le rapport enfonce le clou en indiquant que le secteur de l’exploitation forestière industrielle met en péril le statut de la RDC en tant que pays « solution » en matière de biodiversité et de climat.
Pire, la grande majorité des détenteurs de concessions forestières en RDC opèrent au mépris des normes environnementales, sociales et fiscales élémentaires. Ce qui compromet le rôle du pays en tant que « pays de solutions » aux crises du climat et de la biodiversité à l’approche de la COP 29 à Bakou en Azerbaïdjan (prévue du 11 au 22 novembre 2024, ndlr), confie le coordonnateur national de l’APEM, Blaise Mudodosi. « Nous saluons la récente décision du gouvernement de suspendre les contrats de 16 concessions opérant illégalement, mais cela n’est pas allé assez loin. Il devrait maintenant prendre des mesures similaires avec d’autres entreprises illégales, mettre en veilleuse un plan visant à ouvrir des dizaines de millions d’hectares de forêts à l’industrie du bois et accroître son soutien à la gestion communautaire des forêts dans le pays, un domaine dans lequel la RDC est un leader », poursuit notre source.
Propositions pour une filière bois créatrice d’emplois durables et promouvant un réel développement économique
Dans une logique de promotion d’une économie forestière durable, les rapports réalisés soulignent la nécessité d’une action concertée de la part du gouvernement de la RDC pour résoudre les problèmes de gouvernance dans le secteur de l’exploitation forestière industrielle, afin de respecter ses engagements en matière de climat et de biodiversité. Les priorités urgentes sont relatives à l’émission d’une interdiction nationale d’exportation de grumes afin d’encourager l’industrialisation du secteur de la transformation du bois en RDC (pour stopper les sociétés contrevenantes, stimuler l’économie nationale et remédier à la crise climatique).
Il en est de même du maintien du moratoire national de 2002 sur les nouvelles concessions forestières jusqu’à ce que le système de concession existant soit « manifestement » maîtrisé. L’autre chantier porte sur la nécessité pour le ministère de l’Environnement et du Développement durable de la RDC de prendre des mesures correctives contre les mauvais acteurs du secteur forestier du pays. Il s’agit notamment des mesures contre les concessions exploitées illégalement, pouvant aller jusqu’à l’annulation des permis, de l’instruction des enquêtes sur Booming Green et Wan Peng ainsi que sur les fonctionnaires complices qui ont été leurs acolytes en termes de comportements illicites. Ce faisant, le gouvernement de la RDC pourra mieux remédier aux défaillances de la gouvernance dans le secteur de l’exploitation forestière et respecter les engagements du pays en matière de climat et de biodiversité.
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