
[Vitrine du Cameroun] – À l’occasion d’une récente réunion ministérielle à Changsha, la Chine a annoncé une nouvelle phase ambitieuse de son engagement en Afrique : la possibilité de supprimer les droits de douane sur les exportations de l’ensemble des 53 pays africains (à l’exception de l’Eswatini, qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan). Si de nombreux médias ont rapidement présenté cela comme une décision acquise, la réalité est plus nuancée : la Chine se dit « prête » à agir, sous réserve de négociations et de la mise en place d’un nouveau cadre de partenariat économique.
Ce cadre – le Partenariat économique Chine-Afrique pour un développement partagé – semble être cœur de la nouvelle approche économique de Pékin vers l’Afrique. Une sorte de vision du futur des relations économiques et commerciales entre la Chine et le continent.
Par sa nomenclature et son ambition – exprimé dans la déclaration finale du FOCAC en septembre dernier – , il fait écho à un précédent historique désormais bien connu, bien qu’imparfait : les Accord ACP entre l’Union européenne avec les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).
Les initiatives ACP de l’UE reposaient sur trois piliers : commerce, politique et développement. Dans leurs volets commerce et développement, ils ont donné naissance aux Accords de partenariat Économique (APE) dont celui de Cotonou en 2000 qui promettaient un accès sans droits de douane aux marchés européens tout en laissant aux pays africains la possibilité de protéger certaines filières. Dans les faits, cependant, elles ont peiné à tenir leurs promesses.
La proposition chinoise, née du cadre du FOCAC semble calquer les démarches européennes antérieures, mais tout en s’inscrivant dans des dynamiques politiques, économiques et institutionnelles radicalement différentes.
Dans le partenariat économique suggérée par la Chine, dont on ne connait pas encore le contenu ni l’étendu – les pays africains n’y en ont pas réagi depuis l’annonce de septembre – il faudra certainement s’attendre à ce que Pékin obtienne une certaine réciprocité de la part des pays africains, non seulement par convenance politique mais aussi par conformité aux normes de l’OMC. Et dans la perspective où une mesure similaire devrait être négociée, plusieurs facteurs devront être pris en compte afin d’assurer un partenariat réussi.
Le déséquilibre commercial
Au cœur des échanges sino-africains se trouve un déséquilibre persistant : les pays africains exportent essentiellement des matières premières (minerai, bois, pétrole), tandis qu’ils importent des produits finis de Chine. L’offre de Pékin d’étendre le traitement zéro-tarif à tous les pays africains apparaît comme un geste vers un rééquilibrage.
Mais elle comporte des conditions. Comme l’indiquent la Déclaration de Beijing 2023 et la déclaration de Changsha, l’ouverture du marché chinois est conditionnée à la signature de ce nouvel accord-cadre. Et, à la différence du FOCAC lui-même, il s’agirait ici d’un engagement institutionnel, potentiellement contraignant, visant aussi à protéger les investissements chinois.
Reste à savoir si les pays africains sont prêts à entrer dans un tel cadre, et si celui-ci pourra réellement être mutuellement bénéfique.
Leçons tirées de l’UE
La démarche des APE de l’UE – privilégiant les blocs régionaux aux accords bilatéraux – a donné des résultats mitigés. De nombreux pays africains y ont résisté, craignant que l’ouverture du marché ne dépasse leurs capacités industrielles et ne réduise leurs recettes douanières. Le résultat : un paysage fragmenté, une participation inégale et des promesses non tenues.
La Chine pourrait rencontrer des obstacles similaires : malgré la suppression des droits pour 17 pays les moins avancés, les volumes commerciaux n’ont guère évolué. La plupart de ces pays ne produisent pas les biens recherchés par les consommateurs chinois.
La Chine s’attendra à une forme de réciprocité de la part des marchés africains, cependant la suppression des droits sur les importations chinoises pourrait dévaster les industries locales et tarir les recettes gouvernementales issues des droits d’importation.
En effet, la Chine n’est pas seulement un partenaire commercial : c’est le premier exportateur mondial de produits manufacturés. Même sans traitement préférentiel, ses produits dominent déjà de nombreux marchés africains, concurrençant souvent les producteurs locaux.
Un marché complexe
Quatre préoccupations majeures compliquent l’adhésion africaine à la proposition chinoise :
- Capacité manufacturière : la plupart des pays africains manquent d’infrastructures industrielles pour tirer parti d’un accès sans droits de douane à la Chine.
- Perte de recettes : la réduction des droits pourrait réduire drastiquement les recettes nationales dans des économies dépendant des taxes à l’importation.
- Perturbation commerciale : des pays comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, dotés de secteurs manufacturiers relativement développés, devraient craindre une inondation de produits chinois moins chers. C’est déjà le Nigéria qui avait refusé de signer les Accords de cotonou dans la Zone CEDEAO, prétextant la protection de son industrie locale.
- Priorités continentales : la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est toujours en cours ; un vaste accord bilatéral avec la Chine pourrait en affaiblir la cohésion et créer des tensions intra-africaines.
Il existe cependant une opportunité : la coopération industrielle. Si la Chine soutenait le développement manufacturier africain par des investissements directs, des transferts de technologies ou des coentreprises, le partenariat proposé pourrait dépasser la simple ouverture des marchés pour favoriser une véritable transformation économique.
En s’appuyant sur la Déclaration de Beijing de l’année dernière, la Chine avait déjà exprimé sa disponibilité à accompagner l’industrialisation africaine, sous réserve de garanties adéquates pour protéger ses investissements.
Épreuve de stratégie et de confiance
La Chine a traditionnellement privilégié les accords bilatéraux aux démarches régionales ; toutefois, cette approche pourrait limiter la portée et la cohérence du nouveau cadre. Les petits marchés africains risquent de ne pas l’intéresser, tandis que les grandes économies redoutent des perturbations internes. L’enjeu ne réside pas seulement dans la définition d’incitations, mais aussi dans la mise en place de structures institutionnelles et de relations de confiance durables.
La question demeure : la Chine saura-t-elle réussir là où l’UE a peiné ? Tout dépendra non seulement de sa volonté d’offrir un soutien concret au développement africain, mais aussi de la capacité des gouvernements africains à coordonner, négocier et définir les termes d’un partenariat mutuellement avantageux.
Sans cela, le risque est le même qu’autrefois : de grandes promesses, un potentiel inexploité et une nouvelle occasion manquée d’une mondialisation équitable.

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