[Vitrine du Cameroun] – Sa Majesté Gilbert Mbele Massike, chef de premier degré de Gbaya de Kette et Ouli dans la région de l’Est, revient sur les désastres causés par l’exploitation de l’or dans sa localité et se projettent sur des pistes durables à explorer pour que l’activité minière soit bénéfique pour tous.
Quel est le regard que vous portez sur l’activité minière dans la zone de Kette ?
Le regard que je porte sur l’activité minière dans mon territoire de commandement est un regard de désolation. Vous me direz certainement comment est-ce que je peux être désolé d’une activité qui semble lucrative ? Je suis désolé parce qu’en principe, l’or génère des revenus. L’or est une bénédiction. Surtout que Dieu dit qui nous a créé dit que l’or et l’argent lui appartiennent. Donc, on s’attendrait à ce que cette activité aurifère dans notre zone soit une bénédiction non seulement pour le territoire, mais également pour le peuple qui s’y trouve.
Malheureusement, lorsque nous faisons le point de tout ce qui se passe autour de cette activité ou des comportements des hommes qui s’y lancent, on se rend compte que ça crée plus de problèmes que l’on ne s’attendrait. Vous allez constater aujourd’hui que sur mon territoire, le taux de déperdition scolaire est très élevé. Ces zones minières sont devenues des lieux de consommation de toutes les drogues. L’incivisme règne et je suis en voie de me demander quel avenir pour un peuple comme celui-là qui ne pense pas à l’avenir, au développement personnel et à sa contribution au devenir de ce grand pays qu’est le Cameroun.
C’est là mon inquiétude. Du coup, si une activité doit plutôt entraîner la déperdition scolaire, la délinquance juvénile et des dérives de comportement, je suis inquiet en tant qu’autorité traditionnelle. Je m’attendrais à ce que ces activités génératrices de revenus puissent plutôt contribuer au développement de cette zone. Vous avez fait le tour : est-ce que vous pouvez dire que Kette est vraiment une zone minière ? Qu’est-ce qui représente la mine ici à part les sachets de whisky qui jonchet les routes ? Est-ce que vous pense que je suis honoré avec tout cela ? Ce n’est pas bien. L’or en lui-même n’est pas un problème. C’est la mentalité des hommes qui inquiète. Il y a quand même quelques personnes dont les rendements paraissent positifs. Mais, s’il y a deux ou trois sur 100, ça ne représente pratiquement rien. L’impact de l’activité minière et particulièrement de l’or dans ma zone est mitigé.
A votre avis, l’éducation prend un coup du fait de l’activité minière…
Effectivement, l’éducation prend un véritable coup. Notre fils, le défunt ministre des Mines, Dr. Gabriel Dodo Ndoke était un fils de Kette. Pour être ministre, il fallait aller à l’école. Vous convenez avec moi que si ce vaillant guerrier comme nous appelons aujourd’hui n’était pas allé à l’école, on n’aurait jamais eu un membre du gouvernement sortant de nos terres. Est-ce que je ne vais plus avoir un autre haut cadre dans cette République, parce que la plupart des jeunes se sont lancés dans l’activité minière ? Parfois, vous allez dans les salles de classe, elles ont vides. Ce n’est pas faute d’établissements. Il y en a suffisamment. Mais les enfants qui vont à l’école ne veulent pas forcément y rester. C’est juste un passe-temps. On est en droit de s’inquiéter de ce qui arrivera. Donc, le taux de déperdition scolaire est très élevé dans notre zone du fait de cette activité minière.
Quel est le plaidoyer que vous portez vis-à-vis des exploitants miniers et des pouvoirs publics pour que l’activité minière soit durable et rentable dans votre communauté ?
Je souhaite qu’il y ait un meilleur encadrement de tous ces artisans miniers. J’ai l’impression qu’il n’y a pas une formation à la base pour y arriver. Ce sont des jeunes qui se lancent sans aucun background et dès qu’ils ont de l’argent, ils estiment avoir tout. S’il y avait un meilleur encadrement de ces artisans en leur faisant comprendre le bien-fondé de l’éducation qui est primordiale, on peut mieux capitaliser.
On aurait même des meilleurs enfants de ce côté parce qu’ils auraient les moyens de soutenir leur éducation. Au niveau des exploitants miniers, qu’est-ce qu’ils vont laisser comme héritage ? Je ne peux que les encourager à envoyer leurs enfants à l’école. Nous avons vu l’activité de la Sonamines qui vient donner des fournitures scolaires pour empêcher que les enfants n’aillent dans les chantiers. L’initiative est à saluer mais c’est insuffisant. Les enfants se retrouvent dans les zones minières parce que leurs parents y sont en activité. On pense que pour avoir de l’argent, on doit être dans un chantier minier.
Pourtant, l’activité agricole qui a fait la force de nos parents, a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Nous ne sommes pas allés à l’école avec l’argent de la mine. C’est l’agriculture et l’élevage qui nous ont bâti. Au lieu de venir donner les cahiers aux enfants pour les empêcher d’aller dans les chantiers miniers, autant mieux nous remettre des tracteurs par exemple, afin qu’il y ait un contrepoids.
Les tracteurs pourraient aider ceux qui veulent exercer l’activité agricole à faire de grands champs. Quand les revenus champêtres seront importants sinon approximativement plus proches de ceux de l’or, les gens auront maintenant à choisir entre aller faire l’activité agricole où on a plus de temps de s’occuper de toute sa famille que de se lancer dans une activité minière à risque. Parfois, vous pouvez mettre toute l’énergie que vous avez, toutes vos économies et sortir de là sans un radis. C’est comme la loterie. Or, avec l’activité agricole au moins, on ne perd pas à 100%. On peut avoir ne serait-ce que de quoi manger et envoyer ses enfants à l’école.
Sa Majesté, l’environnement est détruit, on ne peut plus pratiquer de l’agriculture voire l’élevage. Est-ce que l’autorité traditionnelle a fait un plaidoyer dans ce sens pour que ces exploitants referment ces trous ?
Au Cameroun, il y a de belles lois. Il y a une batterie de mesures administratives pour contraindre ces exploitants miniers à refermer systématiquement les trous. Malheureusement, on dirait qu’il n’y a pas de suivi. Est-ce qu’il y a une structure qui est chargée de contraindre ces exploitants à refermer, à partir du moment où c’est une condition pour obtenir l’autorisation d’exploitation ? Chez nous rien n’est fait. La plupart des exploitants sont partis après avoir creusé et laissé des trous béants qui deviennent plutôt des mouroirs. Qui doit veiller à ce qu’après l’exploitation, ces trous soient refermés ? Je suis en train de faire un plaidoyer pour que les gens retournent aux activités agricoles. Mais, ils vont pratiquer ces activités où car l’environnement est pollué ? Ce sont les risques que nous courons ici. L’activité minière va finir, mais qu’est-ce qui va rester pour la population du royaume de Kette-Ouli ? Je ne suis pas pessimiste mais il y a un risque dans la zone. Telle que cette activité est pratiquée, l’environnement est détruit, ainsi que la faune et la flore. Si rien n’est fait, même après cette activité minière, quand les populations voudront revenir à l’agriculture, il n’y aura plus d’espaces.
Est-ce que vous craignez des risques d’insécurité alimentaire dans votre zone ?
Justement, dans la mesure où on n’aurait plus des zones cultivables pour exercer nos activités primaires, c’est-à-dire l’agriculture et l’élevage. Qu’est-ce qu’on va devenir ? Il faut que chaque sectorielle qui intervient dans la mine puisse faire son travail. Au niveau de la notabilité, nous attirons l’attention des uns et des autres sur les risques encourus par cette activité incontrôlée, mais nous ne pouvons pas aller plus loin que ça. Il y a des gens qui ont le pouvoir de contraindre ces exploitants à restaurer en l’état les zones qu’ils ont exploité. S’ils ne font pas leur travail, ils auront un problème de conscience. Que chacun prenne ses responsabilités afin que l’activité minière ne soit pas une activité qui va plutôt créer une insécurité alimentaire, une insécurité morale et une insécurité sociale. Et que l’or qui est une bénédiction ne se transforme pas en malédiction pour notre communauté.
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