
[Vitrine du Cameroun] – Le chargé de projets au Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) défend la cause des chefs traditionnels dans la lutte contre l’exploitation forestière illégale. L’expert forestier plaide par ailleurs pour le renforcement des ressources logistiques et humaines de l’administration forestière, pour une meilleure efficacité sur le terrain.
Après une série d’activités organisées en 2024 à Ntui et Messamena pour sensibiliser en priorité les chefs traditionnels sur leur rôle comme garants de la préservation des forêts, qu’est-ce qui vous motive à remettre ce dossier au-devant de la scène ?
Il y a des observations qui ont été menées pour les deux zones forestières du Mbam-et-Kim et de Messamena, considérés aujourd’hui comme des fiefs ou hotspots de l’exploitation forestière illégale au Cameroun. En termes de volumes, c’est assez important car on parle d’environ cinq camions par jour dans les deux sites et en termes d’essences. Il y a une sorte d’écrémage de la forêt parce qu’il y a des essences qui sont de plus en plus surexploitées comme le tali, l’iroko, l’ayous et autres.
Il y a également un lien dans les deux cas : l’exploitation se fait à haute échelle et est de grande envergure. Elle se fait à l’aide d’engins lourds, au vu et au su des populations souvent impuissantes et surtout avec la complicité des chefs traditionnels. Dans notre contexte, pour avoir accès à la forêt, on a besoin de l’accord des chefs, qu’il soit formel ou informel. Ce qui nous revient sur le terrain c’est qu’il y a souvent des accords noués en termes de camions qui sortent chaque jour.
Les prix varient et vont de 10 000 à 50 000 F par camion pour un camion d’environ 20 mètres cubes de bois. S’il on a cinq camions à certaines périodes, on peut imaginer les rentrées. Ça peut paraître beaucoup, mais c’est dérisoire, car la valeur estimée du bois qui part est évaluée à presqu’un million de F. par exemple le tali aujourd’hui avec les fluctuations du marché, on est à plus d’un million de F le mètre cube.
Quand vous avez 20 à 25 mètres cubes sur un camion, si on évacue les charges, vous pouvez imaginer le gain qui reste. C’est pour dire que la part qui revient aux populations dans cette exploitation est insignifiante. Au-delà, on a cette dégradation de la forêt qui est en train de disparaître et pour laquelle on ne pourra rien si on n’a pas des actions fortes qui sont menées. L’objet de cette conférence de presse était donc d’attirer une fois de plus l’attention pour rallier la participation de tous les acteurs (administration forestière, ONG, chefs traditionnels, populations locales).
Est-ce qu’il y a eu des évolutions sur le terrain ?
Nous avons présenté les résultats des investigations menées qui montraient effectivement que l’Etat perdait beaucoup de millions de F. Pour le cas de Messamena par exemple, on parlait de plus de 200 millions de F chaque mois. Pour le cas du Mbam, c’était un peu plus. Si l’Etat fait simplement l’effort de recouvrer ces pertes, ça fait déjà une bonne manne pour les caisses de l’Etat. En plus, il y a cette forêt qui n’a pas de valeur économique qu’il faut absolument protéger.
Donc, il y a eu des engagements qui ont été pris et nous remercions l’administration des forêts qui a non seulement participé, mais qui a reconnu les faits qui étaient présentés et a pris des engagements à sa hauteur. Mais, ces engagements ne suffiront pas. La preuve : ces cas d’exploitation illégale que nous avons dénoncé continuent de perdurer peut-être pas avec la même ampleur.
Comment comprendre que cette activité illégale se poursuit alors qu’au niveau européen, la loi s’est durcie à travers notamment la RDUE ?
L’activité se poursuit justement parce qu’il y a plusieurs possibilités d’acheminement du produit. Le bois qui est exploité au Cameroun n’est pas vendu uniquement au sein de l’Union européenne. Il y a d’autres circuits d’évacuation à l’instar de l’Asie qui absorbe à peu près 90 à 95% de notre bois en termes de débités ou de grumes.
Donc c’est un marché qui est ouvert mais dont les conditions ne sont pas assez contraignantes. Du coup, les exigences du marché européen ne sont pas les mêmes que celles du marché asiatique. C’est une brèche pour certains exploitants, en ce sens que ça leur permet de vendre sans avoir l’obligation de justifier l’origine légale du bois. Bref ça leur permet de contourner parfois la loi.
Il y a un rapport co-publié en 2020 par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) et Environnemental Investigation Agency (EIA) et intitulé : « Bois volé, temples souillés…» qui incriminait le Vietnam comme une destination du bois illégalement exploité au Cameroun. Quel est leur mode opératoire ?
Le mode opératoire des Vietnamiens est assez simple. Généralement, ils achètent des lettres de voiture au prix de lourds moyens. Une lettre de voiture est un document administratif qui justifie de l’exploitation d’un bois dans une zone précise et qui permet son évacuation. Ils ont ce moyen d’avoir accès aux lettres de voiture, parce qu’on en délivre aux exploitants forestiers. Ensuite, ils entrent dans la forêt sans permis d’exploitation et coupent. Et sur la base des lettres de voiture, ils peuvent acheminer leurs produits.
Une fois que le bois est coupé, il est blanchi sur la base des indications contenues sur la lettre de voiture. Ce qui permet d’acheminer le bois soit vers une scierie, soit directement à l’exportation. Les exploitants travaillent en général nuitamment. Le blanchiment du bois, tel que l’attestent les images en notre possession, se fait dans la nuit. Idem pour le déplacement des camions.
Quand on parle de blanchiment de bois, il s’agit de masquer son origine réelle. Il consiste à marquer sur un bois qu’il a été coupé dans la forêt X alors qu’en réalité il a été coupé dans la forêt Y. Mais vous n’avez pas la possibilité de vérifier une fois qu’il est blanchi. Une fois que le bois est blanchi, il devient légal et peut être acheminé à l’exportation parfois avec la complicité des autorités administratives, des chefs traditionnels et des populations locales qui travaillent au pillage de leurs forêts.
Que proposez-vous donc face aux vieilles habitudes qui ont la peau dure et font peser sur les forêts camerounaises un péril imminent ?
Cela veut dire qu’il faut renforcer la surveillance. Il faut soutenir l’administration forestière qui est parfois dépourvue de moyens logistiques qui lui permettent de mener à bien sa mission. Parfois, le personnel n’est pas assez aguerri. Les moyens d’information sophistiqués comme les vidéos de surveillance et autres manquent le plus.
Il est temps de passer à une vitesse supérieure pour rattraper ce gap technologique qui est la principale cause, parce que les exploitants ont d’énormes moyens et ils trouvent toujours le moyen de contourner la loi et d’avoir les alertes qui leur permettent d’échapper aux contrôles. Nous attirons une fois de plus l’attention de l’administration sur ces cas d’exploitation illégale. Nous leur demandons d’avoir un œil plus attentif sur ce qui se passe dans les forêts de Messamena et du Mbam-et-Kim, sur ce bois qui échappe aux contrôles. Et nous les invitons à mener des actions plus concrètes et dissuasives.
Est-ce que les peines plus lourdes contenues dans la nouvelle loi forestière du 24 juillet 2024 ne sont pas un début de solution ?
C’est une réelle avancée. Au moment où nous présentions les faits, la loi du 24 juillet 2024 portant régime des forêts et de la faune n’avait pas encore été modifiée. Il y a cette nouvelle loi qui est plus dissuasive et il faut saluer cela. Aujourd’hui, on peut encourir plus de 10 ans de prison parce qu’on a exploité illégalement une forêt. Avant, on était à trois ans. On peut se voir infliger des amendes allant jusqu’à 50 millions de F. C’est une avancée. C’est déjà un socle sur lequel on peut s’appuyer, mais ça ne suffit pas tant qu’il n’y a pas des actions concrètes de dissuasion sur le terrain. Il faut des patrouilles, impliquer les populations dans la surveillance des forêts ainsi que l’autorité traditionnelle qui est garante de ces forêts. Ce n’est qu’à travers ce mélange de solutions qu’on peut aboutir à des solutions un peu plus durables.
Autant dire que la réussite de ces actions nécessite une logistique appropriée ?
Effectivement ! Il faut de la logistique et des moyens. C’est également l’occasion d’interpeler les différentes ONG qui peuvent aider à financer certaines activités comme la sensibilisation ou la formation. Parfois, il faut reboiser et ça nécessite une expertise. Il faut des moyens financiers un peu plus importants mais il faut également impliquer les différents acteurs dans le processus de surveillance des forêts.
Les organisations de la société civile sont des observateurs indépendants. Ils se limitent juste aux dénonciations et à la déclaration des faits. Pour ce qui est des actions, c’est le devoir régalien de l’administration. Nous ne saurions nous substituer à l’Etat. Donc nous dénonçons, attirons l’attention et suscitons à travers ce travail de fond que nous menons (parfois l’administration n’a pas le temps de fournir des rapports aussi fouillés) des actions concrètes. C’est à l’Etat seul de punir, de réprimander et de sévir.
Dans votre narratif, un point d’honneur est mis sur la place de l’autorité traditionnelle dans la préservation des forêts. Rarement ce discours a été tenu jusqu’à présent. Pourquoi une telle emphase sur le chef traditionnel ?
Le chef traditionnel dans notre contexte est le garant de la forêt, parce que rien ne s’opère dans la forêt sans son accord, même les ventes de terrain. Pour accéder à la forêt, il faut nécessairement un accord formel ou informel. Il faut la complicité du chef. Nous avons identifié ce maillon comme un maillon faible dans la chaîne de surveillance. C’est à travers ce maillon que plusieurs opérateurs illégaux passent pour avoir accès à la ressource. Nous pensons que si le chef est outillé, sensibilisé et informé, il peut plutôt la protéger.
Sa contribution dans la surveillance des forêts est essentielle. C’est l’autorité traditionnelle qui a l’information sur la forêt en termes d’essences, de potentiel voire de valeur traditionnelle. Leur contribution peut aider non seulement à identifier les potentiels sites de protection. On parle aujourd’hui de forêts sacrées et de forêts à totem. Ce sont des exemples réussis ailleurs qui ont permis de protéger certaines forêts. On parle d’ailleurs de forêts à haute valeur de conservation (FHVC). En plus, le chef en tant qu’autorité légitime et reconnue par les populations, peut être écouté au niveau de sa communauté.
Vous faites observer que les rapports publiés dans le cadre de vos actions de terrain sont contenus sur la plateforme Open Timber Portal. Quelle est la plus-value de cette publication en ligne ?
L’Open Timber Portal (OTP) est une plateforme qui permet de rendre public certains rapports, notamment des rapports liés à l’exploitation des forêts. Les acheteurs de bois ont souvent des soucis en termes de traçabilité du bois. L’OTP permet de justifier de l’origine légale d’un bois par exemple ou de légaliser un bois une fois qu’il est blanchi. Cela permet d’avoir une idée des potentiels hotspots ou épicentres d’illégalité. Il y a aussi l’occasion d’avoir des informations sur les potentielles sociétés qui exploitent de manière durable. C’est une plateforme qui est un peu comme une sorte de tremplin pour les exploitants qui essaient de respecter la durabilité de présenter les sources de leurs bois, les modèles de traçabilité et d’attirer un peu plus d’acheteurs. Les rapports sont consignés dans l’OTP, sont publics et accessibles à tous, gratuitement et à tout moment. En plus des rapports, il y a plusieurs informations concernant l’exploitation du bois en général au Cameroun : les sociétés qui exploitent, les zones d’exploitation, les quantités, les permis, les localisations, etc. C’est vraiment une plateforme de renseignements sur l’exploitation forestière.

Grâce à des professionnels issus du monde des médias, des affaires et de la politique, mus par la volonté de fournir une information vraie, crédible et exploitable pour la valorisation de la destination Cameroun, Vitrine du Cameroun est devenu une plateforme de référence au Cameroun. Contacts : vitrineducameroun@gmail.com, ou via WhatsApp +86 16695017248